L’Oeil d’Olivier / 15 avril 2024 / Mathis Grosos
C’est une nonchalance peu commune, la stature de ceux qu’on appelle « personnage » avant même qu’ils ne posent le pied sur scène. 66. est la rencontre improbable de Shakespeare et Antonin Artaud avec l’univers du rappeur Vîrus. Cet exercice d’équilibriste à la lisière du concert et du théâtre, c’est la parfaite opportunité de dessiner un univers sombre où les expressions sont délicieusement malmenées. À la cruauté du réel, Vîrus oppose une grammaire percutante où les jeux de mots s’offrent une place de choix dans chacune des punchlines.
Loin du pur exercice stylistique, on lit dans la gouaille du rappeur une colère sourde. Le sourire face à un trait d’esprit se fige alors qu’on se mange le virage de la ligne suivante. Vîrus parle aussi bien de la précarité que de l’addiction, de la nuit que du deuil. L’air de rien, c’est un spectacle très généreux qui vient subjuguer le public de la Parcheminerie. Tous les regards convergent en un point, il ne faut pas manquer une ligne de celui qui semble si bien les faire bouger.
Ouest France / 11 avril 2024
La poésie brute de Vîrus au festival Mythos à Rennes
Le rappeur mêle ses mots à ceux du poète Jehan Rictus, pour un seul en scène annoncé comme incandescent.
« C’est un seul en scène que je travaille depuis des années » confie Vîrus, amoureux des mots et de la langue, qui a grandi à Mantes-la-Jolie, en région parisienne. Il se définit comme un « désagrégé » de Lettres, interprète de la parole. « Je suis quelqu’un qui voulait faire un bac littéraire, mais ça n’a pas eu lieu, j’essaie de me rattraper. » Son premier canal d’expression a été le rap, « par l’écoute et le mimétisme. C’est la seule parole qui m’a semblé autorisée. »
Aujourd’hui, Vîrus expérimente un nouveau terrain de jeu, le plateau de théâtre. Tout est parti de cartes blanches proposées notamment par la maison de la poésie à Paris. Vîrus mêle ses mots à ceux du poète Jehan Rictus (1867-1933), auteur du Soliloque du pauvre, « un auteur qui a mastiqué le béton, authentique. Il m’a ouvert un champ, m’a libéré. »
Vîrus s’autorise à reprendre ses mots, ces textes écrits en pleine révolution industrielle, « naturels en bouche, cette poésie orale sur la situation sociale, ces clivages qu’il ne comprend pas et qui font écho avec la société d’aujourd’hui. »
Vîrus crée d’abord Soliloquy Of Chaos, un seul en scène qui changeait à chaque représentation et « pouvait durer de 52 minutes à 1 h 50. C’était anarchique ».
Le metteur en scène rennais David Gauchard le repère : « Il m’a aidé à ranger ma chambre ! On a trouvé ensemble ce territoire pour proposer un concert littéraire. » 66. est un clin d’œil à l’un des 154 sonnets écrits par le dramaturge et poète William Shakespeare. C’est une forme hybride, multiple, « qui réunit tous mes paradoxes, comme un spectacle à veines ouvertes ! »