Un concert numérique, la génèse
Après Jeux d’Ombres en 2016 puis Requiem(s) en 2018, qui ont tous deux fait le pari de renouveler profondemment la forme classique du concert de quatuor à cordes, le Quatuor Debussy a souhaité que sa prochaine création aborde les arts numériques. Souhaitant s’entourer des meilleurs spécialistes de ce domaine, les quatre musiciens se sont rapproché de développeurs/programmateurs puis d’un metteur en scène qui fait appel régulièrement aux arts numériques pour dégager les grandes idées d’une création 2.0 à venir… appelée à ce jour « Concert augmenté ».
C’est donc tout naturellement que le Quatuor Debussy s’est tout d’abord associé avec le metteur en scène David Gauchard, qu’il a connu en 2007 pour le projet Des couteaux dans les poules puis retrouvé en 2018 pour la création de l’opéra contemporain L’Odyssée, qui a déjà une grande expérience dans sa pratique scénique des arts numériques et visuels. S’en suivront des échanges avec l’artiste plasticien Benjamin Massé (alias Primat) et avec le développeur Patrick Suchet (alias Taprik), l’inventeur du système de peinture numérique Picturae.
Nul doute que David Gauchard saura se saisir de l’enjeu d’un tel travail, de la volonté de renouvellement de l’art du quatuor de cordes porté par le Quatuor Debussy depuis près de trente ans et impulsé dans ses derniers projets de création. Que la fête musicale devienne aussi une fête pour les yeux…
Quatuor Debussy Christophe Collette (violon), Emmanuel Bernard (violon), Vincent Deprecq (alto) et Cédric Conchon (violoncelle)
Mise en scène David Gauchard
Création numérique Benjamin Massé (Primat)
Développement Patrick Suchet (Taprik)
Visuel Eva Taulois / Les attitudes – un souvenir
Impression numérique sur voile de coton 120 x 120 cm
Genre : concert numérique
Création : 23 et 24 février 2021 – Théâtre de La Croix Rousse, Lyon
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Production > Le Quatuor Debussy, Ulysse Maison d’Artistes
Coproduction > La Rampe – La Ponatière à Échirolles
Accueil en résidence > Théâtre des Franciscains à Béziers (avant-première), Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon (création)
Contact > diff@quatuordebussy.com / tel:+33 (0)4 72 48 04 65
www.quatuordebussy.com
CRÉATION
23 et 24 février 2021 Théâtre de La Croix Rousse, Lyon
DIFFUSION
Saison 23-24
1er février 2024 Quai des Rêves, Lamballe
3 février 2024 Théâtre de l’Arche, Tréguier
Saison 22-23
22 novembre 2022 Le Grand Angle, Voiron
17 janvier 2023 Le Relais Culturel, Haguenau
2 mars 2023 Lux Scène nationale, Valence
23 mars 2023 Le Moulin du Roc, Niort
Saison 21-22
03 septembre 2021 La Halle aux Grains, scène nationale de Blois
17 septembre 2021 Septembre musical de l’Orne – Le Quai des Arts, Argentan
26 novembre 2021 Le Diapason, Saint-Marcellin
7 décembre 2021 La Rampe, Echirolles
9 décembre 2021 La Garance, Cavaillon
24 juin 2022 Le Colisée, Roubaix
Saison 20-21
19 mars 2021 Le Diapason, Saint-Marcellin
9 et 10 avril 2021 Théâtre des quartiers d’Ivry, CDN Val-de-Marne
6 mai 2021 Théâtre de Sète
Quand le Quatuor Debussy m’a proposé d’accompagner leur prochaine création, je me suis naturellement replongé dans leurs spectacles précédents Jeux d’Ombres et Requiem(s). J’ai cherché à définir une ligne de sens et/ou esthétique entre les deux, et ce qui m’a frappé le plus c’était à la fois une sorte de sobriété, d’humilité, de dépouillement et le rapport sensible à la lumière. Deux œuvres picturales à la fois différentes et complémentaires qui laissent la part belle à la musique et à l’interprétation.
En écoutant la proposition de Christophe Collette autour des grands compositeurs que sont Borodine, Chostakovitch, Janacek, Gorecki, puis en discutant ensemble des oeuvres une à une, de leurs sources d’inspirations précises, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait à la fois s’inscrire dans la continuité des spectacles précédents puis s’en émanciper doucement. C’est dans le souvenir de cette discussion et en voyant cette photo que tout est devenu claire. Quelles muses, quelles Egéries derrière les oeuvres ? L’atelier du peintre, l’endroit où l’on cherche, où l’on désespère souvent et où l’on trouve enfin m’est apparu comme un chemin possible, celui de la création.
Installer un artiste plasticien au cœur d’un dispositif (organique et numérique) et créer nos images en direct. Le quatuor à cordes devenant sujet, s’affirmant comme modèle. Partir des origines et aller vers l’inconnu. Jouer des ombres, de la matière phosphorescente, de la lumière d’une flamme à celle des projecteurs, travailler le fusain, la peinture, la bombe puis la peinture numérique. Animer le quatuor enfin pour que l’instrument dessine à son tour de manière interactive. Quel est le trait d’un violon, la ligne d’un alto, l’épaisseur d’un violoncelle… Faire ce voyage à travers la matière, le temps et la création pure.
Le spectacle va en outre créer des peintures mouvantes et interactives au fur et à mesure des répétitions et des représentations que nous pourrons ainsi exposer parallèlement au spectacle. Profitant des acquis et de l’expérience des techniques d’arts numériques de David Gauchard, il sera ici question de développer ce domaine autrement, en cherchant un rapport interactif à la musique et aux mouvements des interprètes : les accoups des archets, les ondulations des cordes, les postures des musiciens, etc., sont autant de gestes et postures qui permettront de nourrir la mise en scène.
Égéries nous propose un plongeon dans l’œuvre de quatre compositeurs d’Europe de l’Est qui, chacun à sa façon, soulève la figure aussi mythologique que contemporaine qu’est la muse ; ces femmes aux influences si marquantes qu’elles ont inspiré, fasciné et presque modelé le travail et les esthétiques de ces quatre sommités que sont Borodine, Chostakovitch, Janácek et Gorecki. En traversant les sentiments originels que peuvent être l’amour, l’absence, la jalousie et la haine, ce spectacle se construit à l’image d’un voyage intime, au cœur des émotions. Borodine va nous amener dans la passion amoureuse ; au travers d’une pensée musicale intime d’une œuvre composée pour sa femme en revenant d’un long périple. C’est avec Chostakovitch qu’Égéries fera la douleur de l’absence ; son œuvre écrite comme « Un tombeau à Nina » nous apportera une sombre atmosphère de macabre, de fatalité… Un périple au cœur des passions, mené, tambour battant, notamment avec la palette d’émotions exposée par Janácek, allant de la plainte amoureuse au cri. Œuvre composée en réaction à la nouvelle de Tolstoï, La sonate à Kreutzer, le compositeur dépeint l’horreur de la jalousie, symbole d’une passion conjugale dévastatrice. Enfin, le choix d’invoquer l’œuvre de Gorecki n’est pas sans rappeler, in fine, toute l’ambivalence des sentiments que l’être humain est seul capable de vivre. Défi est alors donné au Quatuor Debussy de rendre navigable toute cette puissance émotionnelle, manœuvrant aux côtés de Primat pour peindre les portraits de ces intenses égéries.
Les Trois Coups / 13 mars 2021 / Michel Dieuaide
Quatre archets, une bombe et des passions
Au cœur du projet, la volonté du Quatuor Debussy de poursuivre sa recherche de création de formes musicales associées à d’autres langages contemporains. Ici, les arts numériques au service de la peinture réalisée à l’aide du logiciel Picturae pour l’invention d’un « concert augmenté ». Au menu, quatre oeuvres de Borodine, Quatuor n°2, Chostakovitch, Quatuor n°7, Janácek, Quatuor n°1, La Sonate à Kreutzer, et Henryk Górecki, Quatuor n°1, Already it is dusk.
Le fil rouge du spectacle est la passion amoureuse. Les compositeurs d’Europe de l’Est dédient leurs partitions aux femmes qu’ils aiment et invitent leurs auditeurs à partager leurs émotions. Égérie(s) entraîne dans un voyage poétique et sensible où se succèdent plaisir des retrouvailles après une longue absence, douleur de la solitude prenant les couleurs violentes d’un fantasme meurtrier, tourment dévastateur de la jalousie et ambiguïté terriblement humaine de l’oscillation des sentiments.
Accords parfaits
Inutile pour cette création pluridisciplinaire de chercher à mettre en valeur la musique plutôt que la mise en scène, la peinture numérique plutôt que l’interprétation des solistes. L’osmose artistique des différents protagonistes est le gage de leur réussite collective. On le vérifie, par exemple, dans la fluidité et la finesse de la mise en espace, dans la complicité émotionnelle entre le plasticien et les musiciens, dans la fulgurance d’une battle à coups d’archets, dans la souplesse gestuelle du grapheur, dans la vibration saisissante de deux violons jouant la même ligne mélodique, dans les regards partagés sur les images improvisées et même dans les silences poignants qui suivent les dernières notes d’un quatuor et l’ultime touche picturale. Le Quatuor Debussy, David Gauchard et Benjamin Massé réussissent avec Égérie(s) le pari de rendre plus incandescentes les œuvres de Borodine, Chostakovitch, Janácek et Górecki. Dernière remarque pour inviter de nombreux spectateurs à voir (un jour ?) et revoir (mais quand ?) cette ode magnifique aux muses des grands poètes de la musique : le vaste écran qui reçoit les inventions graphiques fonctionne comme un palimpseste.