Michel-flandrin.fr / 5 juillet 2024
Violaine Brébion a de la suite dans les idées. Après Jours sans faim, plongée dans les tourments de l’anorexie (représentée lors du Off 2022), celle-ci revient avec la chronique d’un service gynécologique.
La comédienne porte à la scène Le Chœur des femmes de Martin Winckler. Dans ce roman publié en 2009 (édition POL), l’auteur de La Maladie de Sachs (1998), décrit le quotidien du pôle Mère-Enfant du CHU Nord de Tourmens.
Œil nouveau oblige, la chronique s’amorce à l’arrivée de Jean (prononcer djiine, c’est une dame) Atwood. L’impétrante entame en marche arrière un énième stage, validation ultime de son parcours d’internat. Dès son entrée, elle s’affecte du mauvais entretien de certains équipements puis lie connaissance avec Franz Karma, le chef de service qu’elle surplombe, insensible au mandarinat.
Car plus que tout, Jean veut découper, réduire, réparer, greffer, recoudre, cautériser.. . Elle sera la Jeanne d’Arc du scalpel. L’impératif de la guérison élude le tempo des soins. Mais Jean est trop pressée pour s’attarder sur la conversation, l’écoute, la compréhension.
Comme l’on s’en doute, le stage devient un chemin d’apprentissage qui alterne considérations intérieures, scènes du quotidien (parfois drolatiques), échanges (techniques et souvent musclés) entre soignants avec les confessions de patientes ou la description d’actes médicaux.
Ces recensions chirurgicales (au sens vraiment propre du terme) convoquent les régions organiques, cernées par la terminologie. En ces instants, l’on prend conscience que derrière le sabir médical et autres éléments de langage, il y a de la matière, des textures, des fluides, des grosseurs, des cavités. De la chair, de la graisse et du sang qui parfois fomentent des révoltes jaillissantes.
Dans ce magma physiologique s’affairent des soignants, de qualités variables. Jean sera-t-elle une orfèvre bienveillante ou une mécanicienne à nœud papillon ?
Au plateau deux actrices (Clotilde Daniault, Violaine Brébion), un acteur (Xavier Clion) manipulent des plaques rectangulaires, tantôt bureau, comptoir de cantine ou table d’opération, sur lesquelles, sur le dos ou en chien de fusil se posent des corps féminins. Car quelques soient les actions, c’est toujours sur ou dans le corps des femmes que les sévices s’abattent, les examens s’effectuent, l’intervention se produit.
Ce portait de groupe est mis en un jeu par ses interprètes. Minutieuse, tonique, contrastée, cette éloge d’un service public de la santé, essoré mais efficace, empathique à tout jamais, est célébré par un collectif au talent complice.
A la toute fin, un coup de théâtre survient et le romanesque suranné des romans et séries hospitalières pointe le bout de son (joli) nez. La boucle se boucle en une ganse souriante. A suivre et à méditer.
La Provence / Angèle Luccioni / 2 juillet 2024
Festival d’Avignon Off : Le choeur des femmes, un spectacle passionnant et d’utilité publique
Il s’agit de l’adaptation très réussie, par Violaine Brébion, du dernier ouvrage de l’ancien médecin Martin Winckler (auteur de La Maladie de Sachs), sur la maltraitance de certains de ses confrères : « Les brutes en blanc ». Le spectacle raconte le parcours d’une jeune interne douée, Jean Atwood. Elle a un plan de carrière précis. Elle veut exercer en tant que chirurgienne gynécologique. Elle est cependant envoyée, pour valider sa cinquième année d’internat, dans une unité hospitalière de médecine de la femme. Elle doit donc s’occuper, à contrecœur, de ce qui ne l’intéresse guère, notamment d’accouchements problématiques, de contraception, d’avortements… Elle découvre la façon de travailler du chef de service, le docteur Karma, qu’elle désapprouve d’emblée. A ses yeux, il perd son temps à écouter ses patientes dans d’interminables consultations, à leur délivrer des explications et des paroles de réconfort. Pour elle, la médecine ne doit pas s’embarrasser de mots face aux maux, mais privilégier une démarche strictement scientifique consistant à procéder à tous les examens nécessaires pour établir un diagnostic et mettre en place la thérapeutique qui s’impose.
Très vite se creuse un fossé entre la jeune femme sûre d’elle et hautaine qu’est Jean et le chef de service novateur, convaincu du bien-fondé de l’écoute de ses patientes. Il lui propose une période d’essai d’une semaine, pendant laquelle elle le suivra comme son ombre. Au fil des jours, Jean va comprendre qu’écouter le chœur des femmes parler de leur cœur est primordial, parce qu’une patiente n’est pas qu’une pathologie, mais une personne qui a une histoire singulière, qui attend des réponses à ses questions, qui a besoin d’être rassurée ou accompagnée. Jean détient d’ailleurs un secret pour lequel elle sera contente de recourir à l’attention bienveillante et à l’aide de Karma. La mise en scène collective et le jeu des comédiens, absolument remarquables, servent ce spectacle qui plaide efficacement pour une médecine foncièrement humaniste et humaine.