Un grand bassin, des feuilles d’autonome qui flottent, un filet d’eau, un ponton en bois. Et un écran où est inscrit un texte, un mot surtout : contemplation. Contemplation de la nature qu’il faut «regarder avec attention et longuement».
Le ton a été donné. Impossible de plonger dans cette «Rivière» tête la première. En espérant un discours musclé, des répliques magistrales, des rebondissements…
Pendant une heure, cette rivière là va couler au fil des saisons. Lente, douce et paisible.
Une méditation inspirée du philosophe et poète américain Henry David Thoreau qui, après s’être battu toute sa vie contre l’esclavage, s’est retiré au bord d’un lac dans une petite cabane pour commettre son oeuvre majeure : «Walden ou la vie dans les bois».
Superbe scénographie d’abord. Très esthétique, soignée dans le moindre détail. Un véritable tableau. Et pendant une demi heure, silence total. Pas un mot mais simplement un homme en combinaison noire qui ramasse les feuilles dans le bassin. Rejoint par une jeune femme. Gestes mesurés, musique planante. Puis il se déshabille et plonge dans une baignoire ronde, se lave et se sèche. A l’écran des images : herbes et fleurs en mouvement. Et tout à coup, une fumée blanche qui enveloppe la scène alors qu’une danseuse va proposer une chorégraphie intimiste.
«Un des attraits de la vie dans les bois, c’est que j’ai l’occasion assister à l’arrivée du printemps…», lance un deuxième homme. Long monologue où il va notamment plaider pour «le génie de la balade» en soulignant : «Sans espoir de retour, tu es alors un homme libre et tu es prêt à marcher». Dans les forêts lointaines et les vallées profondes. Loin des villes, de ses artifices, «acier» et «plastique», du stress qui impose ses règles : courir, entreprendre, posséder… Un manifeste naturaliste. Sauvage mais sans agressivité. «Il y a dans la nature un magnétisme subtil qui nous conduit sur la bonne voie».
Un joli final avec un mot, «simplify», pour aller à l’essentiel. Tissé de fil rouge sur l’écran qui éclaire de spectacle. Et l’eau coule à nouveau dans le bassin, accompagné d’une voix claire.
Belle démonstration. Parfois déroutante. «Il faut lâcher prise !», avait averti le metteur en scène en ouverture. Indispensable. Une expérience !
Le Populaire du Centre / avril 2019 / Muriel Mingau
Beau et nécessaire
Inspiré par l’oeuvre de l’américain Henry David Thoreau (1817-1862), David Gauchard a présenté au CDN-Théâtre de l’Union une forme envoûtante. Ce poème théâtral, haïku scénique en autre saisons, est une ode à la nature, au vivant. A la croisée des arts visuels, de la musique, du chant, de la danse et du texte, elle fait accéder à un état contemplatif délicieux. Le metteur en scène le fait grâce à de fines et élégantes audaces. Sur scène, les comédiens, comédiennes, chanteuse, danseuse-yogi, musicien et vidéaste excellent dans leur art. Il arrive aussi qu’ils ne fassent rien ou si peu. Ce peu est le théâtre ramené à une simplicité en accord avec les conceptions de Thoreau. Les interprètes se fondent alors dans l’esthétique, comme l’homme dans la nature, tel que le rêvait Thoreau. De cet ensemble naît une beauté. Evocatrice de celle du monde…
Ce spectacle renouvelle l’art théâtral, moins par l’usage de la technologie, support à sa beauté, que par l’expérience méditative à laquelle il invite. Suscitant un grand plaisir de théâtre, il permet à la pensée de Thoreau, qui est aussi celle de David Gauchard, de toucher les sens, l’âme et le coeur. De par son inventivité qui peut surprendre, ce poème théâtral est un pari. Gagné. Le spectateur le reçoit comme une nécessité. Il apparait aussi comme l’un des feux que certains allument partout sur la planète, pour s’engager face à l’urgence à revoir notre rapport au vivant. De ce fait, ce spectacle est aussi espoir. Il fait du bien. C’est sans doute pourquoi la salle quasi comble l’a reçu à Limoges avec une si belle écoute, de si chaleureux applaudissements. Avec ce spectacle, David Gauchard place en effet le théâtre, son théâtre, en un endroit très juste dans la cité.
Le Télégrame / 15 mars 2019 / Eliane Faucon-Dumont
« Ode à la nature.
Une très belle pièce, tout en poésie, de David Gauchard »
S’inspirant de l’expérience de Henri David Thoreau, l’un des premiers écologistes, qui a vécu en autonomie durant plus de deux ans dans les bois, le metteur en scène dresse ici une ode vibrante à la nature.
Sur scène, un bassin dans lequel flottent des feuilles mortes. L’automne les a colorées de rouge, de rouille, de jaune. Sur l’écran, placé au-dessus, apparaissent des images mouvantes, live. Un homme en tenue de travail entre en scène, il s’arme d’une sorte de balai à feuilles et entre dans le bassin. Bientôt, une jeune femme le rejoint. À eux deux, ils ont tôt fait de débarrasser le petit plan d’eau de ses feuilles. La musique live de Thomas Poli donne beaucoup de douceur à la scène. Et lorsqu’elle accompagne l’hiver, saison où la nature s’endort, elle se fait encore plus douce, presque tendre, et prend les couleurs d’un vent frais balayant la terre. Le temps est au yoga. Au milieu du bassin d’eau recouvert d’un drap de fumée, une autre femme, en position du lotus, semble recueillir les derniers rayons d’un pâle soleil.
Le printemps, lui, rend volubile l’un des comédiens qui égraine longuement la pensée de Thoreau. Ses paroles invitent à la marche en pleine nature, détaché de tout. Il faut chaque jour s’imprégner du paysage, savoir ne prendre que le juste nécessaire, et faire confiance à la nature qui finalement n’a pas d’autre fin que de s’occuper de notre bien-être.
Comme un summum, l’été est un chant royal. La scène de l’eau est magnifique. Un feu provoqué par un orage soudain agite les personnages dans le bassin, qui se regroupent sur un radeau, tels des migrants climatiques avant que tout s’endorme à nouveau. Une année est passée. Tout doucement jaillit (du passé ou du futur), une projection où quatre enfants marchent vers l’avenir, solidaires et confiants, chacun une plante entres les bras.
Dans cet univers presque magnifié, les comédiens jouent superbement. Toujours justes, ils s’adaptent à leur saison. Dans la salle, parmi les spectateurs, David Gauchard a installé des plantes sur quatre fauteuils. Presque religieusement, les acteurs, les ramènent sur la scène, et composent avec le tableau final.
Le public applaudit et c’est alors que Dune, sans doute en écho avec la Marche pour le climat, entre sur scène et reprend le discours que fit, à l’âge de 12 ans Severn Suzuki, le 14 juin 1992, dernier jour du Sommet de la Terre organisé par l’ONU à Rio de Janeiro. Ce sera la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un enfant s’adresse aux grands responsables du monde. Dune lit très bien mais on s’interroge comme d’autres spectateurs. Le texte de la pièce était déjà un vibrant plaidoyer pour la terre, fallait-il en rajouter ?
Le Télégrame / 3 mars 2019 / Eliane Faucon-Dumont
« J’ai écrit une pièce poétique, méditative »
un poème visuel et poétique de David Gauchard
inspiré de « Walden ou la vie dans les bois » d’Henry David Thoreau
EFD: Il y a peu de temps vous avez monté « Le Fils » de Marine Bachelot Nguyen, une pièce très politique. Est-ce à dire que le théâtre politique vous intéresse ?
DG: Oui. C’est un virage dans mon travail, après m’être intéressé à Shakespeare et aux classiques, j’aborde des sujets plus personnels en essayant de poser mon regard sur le monde d’aujourd’hui et d’écrire ma propre partition.
EFD: D’où vous vient ce désir ?
DG: J’ai une petite fille qui a 11 ans. À travers toutes les questions qui agitent actuellement le monde, j’ai envie de faire acte d’auteur. Je suis sensible aux marches pour le climat, je souhaite relayer, appuyer le message, faire poids modestement. La pièce de Thoreau ne parle que de cela : le rapport de l’homme à la nature et au temps. J’ai 46 ans, je suis à la mi-temps de ma vie, je consacre beaucoup à ce métier que j’aime, mais lorsque je peux m’échapper et prendre le temps de m’offrir inopinément une promenade en pleine nature ou quelques instants de baignade, je suis heureux et me dis « aujourd’hui j’ai fait un truc incroyable » !
EFD: D’après vous, les jeunes générations vont-elles changer le monde ?
DG: Elles sont, il me semble, de plus en plus nihilistes. Demain, les plus jeunes serons prêts à vivre avec moins, prêts à organiser différemment leur vie. Chercher un autre chemin pour atteindre la plénitude. Nous sommes la dernière génération à dévaliser le monde.
EFD: Que raconte votre spectacle ?
DG: C’est une pièce très musicale et très visuelle qui évoque les quatre saisons. Quatre acteurs/performeurs figurent chacune d’elles. Ce spectacle poétique, méditatif, traverse la pensée du philosophe américain Henry David Thoreau. Il plaide pour un retour à la nature et un autre rapport au temps, il propose un voyage intérieur, une expérience de théâtre, un parcours. Une séance de Yoga et une marche sur les bords de l’Odet accompagneront le spectacle. « les spectateurs » seront comme ceux qui regardent au loin une petite barque posée sur l’océan. A priori, il ne se passe pas grand-chose et pourtant, à l’intérieur, le rameur sue sang eau pour arrivée à bon port.
La vie nouvelle / 5 octobre 2018 / Célia Di Girolamo
Ô temps contemplation
Avec sa nouvelle création, David Gauchard propose une balade sauvage de la contemplation à la fureur, du chant au silence et interroge notre rapport au temps et à la nature, pour que chacun puisse poser le regard à un autre endroit et redonner de la valeur à de (tout) petits moments de bonheur.
Avec [Inuk], il s’est heurté à la rude réalité de la banquise, puis s’est questionné sur des thématiques fortes, comme le réchauffement climatique. Avec Le temps est la rivière où je m’en vais pêcher, David Gauchard s’intéresse à la nature et au temps. Et la façon de travailler avec son équipe a été totalement différente. Ensemble, au fil des nombreuses randonnées qu’ils ont effectuées, tous ont pris le temps. Le temps d’observer, de ressentir et de s’émouvoir, face à la beauté de la nature. Le temps de vivre.
DE BOORMAN À THOREAU. S’il s’est d’abord intéressé à Délivrance, le film de John Boorman, David Gauchard n’en a finalement pas eu les droits. « Puis je suis tombé sur Walden ou la vie dans les bois, d’Henry David Thoreau. En me plongeant dans cet essai philosophique, je me suis engouffré dedans ! » Pour cette création, David Gauchard s’inspire de l’un des premiers auteurs américains à avoir une pensée écologiste, et de son expérience de vie en quasi autarcie dans la nature, à un moment où le metteur en scène est à la recherche d’un autre rapport au temps et à la nature. « Ce sont les deux biens les plus précieux à mes yeux, mais ce sont ceux que l’on respecte le moins, regrette-t-il. Il n’y a qu’à regarder : on ne respecte pas sa propre nature, on ne respecte pas la nature de l’autre, on ne respecte pas la mère Nature. Et c’est la même chose pour le temps : on est sans cesse dans le speed dating, l’urgence, la deadline… On vit sans cesse en retard et les plaisirs sont des shoots rapides. Le bonheur ne peut pas arriver ». Ce que compte bien retrouver David Gauchard, c’est cet état de plénitude et de bonheur, mais devenu si rare de nos jours. Et c’est cette quête de simplicité qu’il va tenter d’amorcer. Mais de quelle manière ? En retrouvant l’instant présent. Et pour décrire au mieux ce qu’il compte mettre en lumière, David Gauchard n’hésite pas à reprendre les mots de Thoreau : « Un homme qui se balade toute la journée dans la forêt va être traité de fainéant. Un homme qui se balade toute la journée dans la forêt, mais qui a échafaudé un plan pour la raser et vendre le bois, va être considéré comme un entreprenant ». C’est à partir de cette pensée datant de 1850 que David Gauchard s’est posé la question du temps… et du futur : « Face à l’urgence climatique dans laquelle nous sommes de manière inexorable, qu’allons-nous laisser en héritage à nos enfants ? ».
UNE FABLE DES QUATRE SAISONS… À partir de ces questionnements, David Gauchard va raconter une fable « comme une déclinaison des quatre saisons, à la manière de Vivaldi ou de Poussin, d’une façon très musicale, très picturale ». C’est ainsi que, sur le plateau, le public observe, à son rythme, ce lent changement de saisons: les feuilles qui tombent, l’hiver et sa quête intérieure, le bourgeonnement et la fusion du printemps, et le chant d’une source qui se tarit, l’été, au bruit des cigales, quand déluge, incendie et sécheresse ont tout brûlé. « Puis nous allons laisser à la génération future deux mots en héritage, le mot « temps » et le mot « nature », en leur glissant que la clé d’un futur paisible se trouvera dans ces mots-là. Ce sera à eux de réinvestir ces mots et cette nouvelle saison… », explique-t-il. En travaillant autour de cette question, David Gauchard n’a pas pu s’empêcher de remonter, lui aussi, le temps. Et de replonger en enfance : « Après tout, c’est un peu les fables de Lafontaine que me lisait ma mère lorsque j’étais petit : le riche laboureur qui, sentant sa mort prochaine, dit à ses enfants, qu’il y a un trésor dans son champ. Finalement, ce trésor, c’est sa récolte de blé. Il y a quelque d’assez simple que je trouvais naïf alors. En fait, je pense que ce sont de vrais haïkus qu’il faut savoir lire, écouter, car il y a là beaucoup d’intelligence ».
… À CONTEMPLER. Le spectacle va donc tenter de raconter tout cela… (quasiment) sans texte : « On va travailler sur la contemplation. Une œuvre plastique, peut-être même plus que théâtrale, chercher le point de résistance, pour que le spectateur soit lâche et soi dans l’abandon. Est-il prêt à lâcher quelque chose pour écouter et regarder de manière sensible ? ». C’est le pari osé que fait David Gauchard avec cette création. Pour s’immerger pleinement dans cette réflexion et dans ce travail contemplatif, il a entraîné son équipe avec lui sur les chemins des randonnées : « Si certains tableaux de pleine nature nous paraissaient très statiques, la relativité à l’image se questionne, car, en observant plus précisément, il y a toujours de la vie autour. Mais pour s’en apercevoir, le recul est nécessaire. Nous cherchons à redonner du sens à nos vies. On parle souvent de monde connecté, alors qu’il faudrait se déconnecter pour pouvoir se reconnecter à la nature. C’est fou, car on en a même inversé les choses ». Alors, prendrez-vous, vous aussi, le temps de contempler ces tableaux, ces instants de vie au théâtre, le temps de ce spectacle qui compte bien tous nous revigorer… et peut-être nous empêcher, désormais, de passer à côté des choses les plus simples, mais si indispensables à nos vies.
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Pour le premier projet qu’il a porté avec l’Espace Malraux, il est monté dans la montagne et a dansé avec le public. Quand il a créé Le fils, il a souhaité aller en tournée. Pour le projet Mistoufles, il a préféré travailler avec les enfants des Hauts-de-Chambéry. Pour [INUK], il s’est rendu en expédition au Nunavik, sur cette terre inuit, et s’est intéressé à l’Homme. Il n’y a pas de doute à avoir: David Gauchard se plonge à fond dans ce qu’il fait. Depuis plusieurs années, il est aussi papa. Et à 45 ans, « l’âge de la mi-temps, on en a autant devant nous que dans notre rétroviseur. C’est l’occasion de prendre du recul sur ce que l’on a fait de bien, ce que l’on a oublié. Pourquoi avons-nous toutes ces madeleines de Proust? C’est aussi ce temps où nous allions pêcher un poisson ou une grenouille avec un fil rouge ». Autant de petits moments hors temps, qui n’appartiennent qu’à soi, et qu’il compte bien réveiller… tout en attirant l’attention.
Théâtre(s) Magazine / Automne 2018 / Tiphaine Le Roy
Les pièces à ne pas manquer
David Gauchard s’inspire de l’oeuvre écrite par Henry David Thoreau suite à son expérience de vie en quasi autarcie dans la nature. Il livre un spectacle pensé comme un poème musical, interrogeant le rapport à la nature et au temps, avec Laetitia Shériff et Thomas Poli à la composition musicale.