Opéra Magazine / juin 2018 / Bruno Villien
Les hauts murs blancs et les colonnes grecques du Théâtre Impérial offrent un cadre idéal à cette Odyssée inspirée d’Homère. L’oeuvre est une commande passée par son directeur, Eric Rouchaud, au compositeur français Jules Matton (né en 1998), qui signe son premier opéra.
La présence de vingt enfants, âgé de 9 à 14 ans, issus de la Chorale Arabesque du Conservatoire de Musique de Compiègne et du jeune Choeur de l’Atelier Musical de l’Oise, apporte au spectacle, mis en scène par David Gauchard, une fraîcheur et une spontanéité séduisantes.
La partition les faits dialoguer avec les chanteurs, ainsi qu’avec les musiciens du Quatuor Debussy : les violonistes Christophe Colette et Marc Vieillefon, l’altiste Vincent Deprecq et le violoncelliste Cédric Conchon.
Jules Matton se situe avec bonheur dans une grande tradition française, celle de Debussy, Fauré, Ravel. A la suavité des cordes répond l’expressivité des voix, tandis que les enfants chantent tantôt en solo, tantôt en choeur.
Le décor représente un cheval de Troie, présence fantôme du père, Ulysse. Son fils, Télémaque, escorté de la déesse Athéna, s’interroge sur le disparu. Barbu, coiffé d’un casque à plume, armée d’une épée et d’un bouclier, Ulysse a pour compagnons les enfants qui, cachés sous un drap, dessinent des vagues. Des lueurs roses signalent le pays de l’oubli, celui des Lothophages. Dans la grotte, le Cyclope est incarné par un garçon qui brandit un télescope. Sa voix, manipulée électroniquement, sonne comme une menace, tandis que son oeil psychédélique tourne sur lui-même. Après avoir affronté l’enchanteresse Circé, Ulysse retrouve sa chère Pénélope dans un jeu d’ombres chinoises, où père et fils sont pris en un duo de miroirs. Pour finir, le choeur, caché derrière des lunettes noires, célèbre « le soleil d’Ithaque ». (…)
Avec sa longue chevelure dénouée, la délicate soprano Jeanne Crousaud prête sa grâce éthérée de sa voix à Athéna, Circé et Pénélope. Le baryton Laurent Deleuil est un Ulysse plein de fougue, tandis que le ténor Fabien Hyon incarne un émouvant Télémaque.
Le public, où l’on remarque de nombreux enfants, fait un accueil enthousiaste à cette Odyssée qui, tout de suite après Compiègne, est allée à Beauvais et à St Quentin. Fin 2018, ce sera le tour de Lille, puis de Limoges, au cours de la saison 2019 / 2020.
Souhaitons que le périple d’Ulysse et de ses compagnons connaisse de nombreuses étapes, car il y a peu de créations où enfants et adultes se mêlent aussi harmonieusement.
La Croix / 7 avril 2018 / Emmanuelle Giuliani
Une « Odyssée » pour tous au Théâtre Impérial de Compiègne.
Fraîche et émouvante, percutante et poétique, l’Odyssée revue par le compositeur Jules Matton et la librettiste Marion Aubert prouve combien la géniale geste homérique peut encore toucher petits et grands.
Dans le hall du Théâtre impérial, la moyenne d’âge des spectateurs fait mentir toutes les statistiques sur le public vieillissant de la musique classique et lyrique ! Accompagnées de leurs parents, elles sont fort nombreuses les joyeuses têtes blondes venues découvrir la nouvelle création du Théâtre impérial de Compiègne.
Son directeur, Éric Rouchaud, a fait appel à une jeune équipe d’artistes – la plupart en résidence au théâtre pour mener un ensemble de projets à long terme – chargée d’inventer, à destination de tous les publics, une version renouvelée mais respectueuse de quelques épisodes d’un des plus grands récits d’aventure jamais écrit : l’Odyssée.
Dans une scénographie gracieuse, jouant avec délicatesse des lumières, de la vidéo et des codes du graphisme contemporain, David Gauchard met en scène le monstrueux cyclope, la magicienne Circé ou encore les lotophages oublieux de tout… Trois solistes vocaux, un chœur d’enfants et les quatre instrumentistes du Quatuor Debussy composent la distribution. Vêtus de noir intemporel, animés par une gestuelle épurée finement inspirée de l’antique, ils se croisent et s’entrecroisent sur le vaste plateau où se découpe la silhouette du fameux cheval de Troie imaginé par Ulysse pour en finir, par la ruse, avec une guerre interminable…
Un travail intense et beaucoup d’enthousiasme
Sophistiquée, exigeante mais toujours séduisante, la partition signée Jules Matton confie aux formidables cordes du Quatuor Debussy la peinture d’un paysage sonore contrasté, passant de la véhémence douloureuse aux ambiances diaphanes. Dans l’acoustique précise et sensuelle du Théâtre impérial, la texture des violons, alto et violoncelle s’allie à merveille aux voix enfantines.
Jules Matton n’a pas transigé sur l’écriture chorale et l’on comprend qu’il a fallu beaucoup de travail et d’enthousiasme pour mettre au point la participation active de la cinquantaine d’enfants. Répartis en deux distributions en alternance, ces chanteurs-comédiens, issus des conservatoires de Compiègne et sa région, n’ont aucune peine à convaincre : qu’ils vivent ou commentent l’action, questionnent ou consolent Télémaque, se balancent au rythme de la musique ou se figent dans de saisissants tableaux en clair-obscur.
Télémaque abandonné et poignant
Le fils d’Ulysse et de Pénélope est le héros de cette Odyssée. Sa quête d’un père absent auquel il reproche son indifférence constitue le pivot psychologique et musical de l’œuvre. Sans jamais tomber dans la facilité, le livret de Marion Aubert insiste, en termes simples et percutants, sur la détresse de ce prince livré à lui-même, impuissant face aux prétendants qui courtisent sa mère et convoitent son royaume.
La voix charnue, intense, solaire, et la présence scénique bouleversante du ténor Fabien Hyon se déploient dans un rôle à leur mesure et l’on ne peut que souhaiter le meilleur à cet artiste déjà engagé dans une jolie carrière, à l’opéra comme au concert. Le baryton Laurent Deleuil, Ulysse très élégant mais plus discret – dont on se demande d’ailleurs s’il n’est pas une chimère rêvée par Télémaque… – et la soprano Jeanne Crousaud dont les aigus ravissants illuminent le triple rôle d’Athéna, la déesse aux yeux pers, de l’envoûtante Circé et de la noble Pénélope, complètent dignement le plateau.
Il suffit d’écouter la qualité et la profondeur du silence pendant le spectacle puis de partager l’effusion des vivats au moment des saluts, pour ressentir combien, ainsi écrit et ainsi monté, un opéra pour et par des enfants demeure, en 2018, une odyssée aussi nécessaire que jubilatoire.
Le Figaro / 7 avril 2018 / Thierry Hillériteau
L’Odyssée de Jules Matton : « Papaoutai »
A Compiègne, le jeune compositeur signe une version opératique et tout public du récit d’Homère. Aussi rafraîchissant qu’incisif.
A cour, une vingtaine d’enfants chantent les exploits d’Ulysse. Orphelins des compagnons du roi d’Ithaque, ils sont portés par la déesse Athéna. A jardin, le Quatuor Debussy déploie sous leurs voix des harmonies serrées en perpétuel mouvement, évoquant les mers enchanteresses ou inhospitalières de L’Odyssée. Télémaque s’avance. Mis en musique par Jules Matton, son cri de colère n’a rien d’une lamentation. Les mots de la jeune auteure Marion Aubert fusent. Prix « nouveau talent 2013 » de la SACD, elle a composé un livret depuis Homère, centré sur la relation père-fils. Le récit perd en caractère épique mais gagne en profondeur. En humanité. La poésie y est toujours de mise. Mais au goût du jour.
Il y a dans le monologue du fils, soutenu avec un superbe abattage par le ténor Fabien Hyon, quelque chose de très actuel. On songe à Stromae. A Vianney. « t’es pas là, pas là, tu comprends ça, t’es pas là, dans ma vie t’y es pas… » Le Télémaque adolescent d’hier est le néoromantique « adulescent » d’aujourd’hui.
Le metteur en scène David Gauchard lui prête des habits qui rappellent ceux du clip Papaoutai. Sa scénographie est pleine d’invention. Revisite l’iconographie de la Grèce antique avec lyrisme…et technologie. Des références qui parlent aux jeunes sur scène comme dans la salle. Car L’Odyssée de Jules Matton n’est pas un opéra de chambre comme les autres. Commande du Théâtre Impérial de Compiègne et de son audacieux directeur, Eric Rouchaud, l’ouvrage renoue avec la tradition des opéras pour et par des enfants.
Première contribution
A Compiègne, cinquante têtes blondes originaires de chorales de l’Oise participent à l’aventure. Pour sa première contribution au genre lyrique, Jules Matton a pris le problème à bras-le-corps. Les parties qu’il compose pour le choeur d’enfants sont aussi exigeantes sur le plan des harmonies que de la justesse. Leurs lignes de chant se mêlent en permanence aux solistes (Fabien Hyon, mais aussi Jeanne Crousaud, remarquable en Athena/Circé/Pénélope, et Laurent Deleuil en Ulysse). Rejoignent celles du Quatuor Debussy. Cheville ouvrière de cette odyssée, l’ensemble est un grand familier du travail avec les enfants, comme de Jules Matton, dont il a créé le quatuor l’an dernier…Un opus qui figure au programme du premier disques de Jules Matton (Livre 1, chez Fondamental) à paraître le 20 avril.
France Musique / 7 avril 2018 / Thierry Hillériteau
Le jeune compositeur en résidence au Théâtre Impérial de Compiègne s’est vu confier par le directeur de ce dernier Eric Rouchaud un ambitieux projet, un opéra, son premier, mais pas n’importe quel genre d’opéra, une oeuvre pour et par des enfants inspirée de l’épatante épopée d’Homère.
C’est à une jeune auteure et comédienne Marion Aubert (prix nouveau talent de la SACD en 2013) que l’on doit le livret de cette adaptation tout public.
La jeune femme signe un texte poétique, actuel, centré sur les rapports père/fils entre Télémaque et Ulysse rappelant ainsi que le récit des exploits d’Ulysse par delà la mer n’est qu’une partie des chants d’Homère.
Une partie confiée, entre autre ici, au choeur d’enfants qui se partage la scène avec l’excellent Quatuor Debussy et 3 jeunes solistes, la soprano Jeanne Crousaud, irradiante en Athéna, déchirante en Circé et amoureuse en Pénélope, le baryton Laurent Deleuil, Ulysse, particulièrement émouvant lors de ses retrouvailles avec son fils et surtout le ténor Fabien Hyon littéralement éblouissant en Télémaque atrabilaire et presque schizophrène, déchiré entre le manque et la détestation du père…
Les enfants présents sur scène comme dans la salle n’y ont certainement pas été insensibles, comme ils ne l’auront pas été non plus face à la musique de Jules Matton, ce dernier à composé pour les voix blanches des 50 choristes de l’Oise qui participent au spectacle, réparti en deux distributions, une vraie partie de choeurs polyphoniques aux harmonies parfois complexes, dissonantes ambiguës. Les jeunes chanteurs s’en sortent avec les honneurs y compris sur le plan du jeu scénique.
Le metteur en scène David Gauchard a fait un vrai travail de direction d’acteurs, le tout dans un univers très graphique et atemporel où l’iconographie et les postures de l’antiquité grecque se mêlent à de jolies trouvailles technologiques, comme ces lampes torches avec lesquelles les enfants dessinent comme à la craie, les lettres du récit au début du spectacle.
Même si l’on retiendra surtout de cette création des textures sonores inouïes, saisissantes du Quatuor Debussy et le formidable abattage de Fabien Hyon, on en ressort avec une certitude : l’intérêt de Jules Matton pour les voix n’est sans doute pas prêt de s’éteindre et c’est tant mieux.