un spectacle de Sergio Grondin, Kwalud & David Gauchard
Auteur et interprète : Sergio Grondin
Musique : Kwalud
Mise en scène et scénographie : David Gauchard
Création mai 2018, festival Leu Tempo à St Leu de la Réunion
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Production > Karanbolaz
Je me souviendrais longtemps de la première phrase que j’ai dîte à mon fils à sa naissance, et ce pour une seule raison, cette phrase était en français. Si je n’en ai pris conscience qu’une fois sorti de la maternité, cette phrase est vite devenue pour moi comme une obsession.Pourquoi était-elle en français et non dans ma langue maternelle le créole?La langue créole est parlée par près de 98% de la population réunionnaise, si elle est l’objet de multiples débats linguistiques et identitaires (comme toutes les langues dites minoritaires), elle est avant tout une langue vivante, et constitue aujourd’hui un des ferments de l’identité créole. Cette identité insulaire, sa particularité, son universalisme ont toujours occupé une place prépondérante dans mon travail d’auteur. Je n’ai eu de cesse ces dernières années de l’interroger, de l’affirmer, convaincu qu’elle était le socle indéboulonnable de ce qui me constitue en tant qu’homme, mais également en tant qu’artiste. Plutôt que d’être angoissé par l’exiguïté des 2512 km2 de mon île, j’y ai toujours vu un immense territoire artistique à explorer.Si comme disait Confiant le monde est créole, mais il ne le sait pas, je pourrais rajouter : la langue créole est son Espéranto même s’il ne le parle pas encore.Pourquoi alors est-ce que j’étais incapable de parler dans ma langue maternelle à mon fils ?Cette question m’obsédait, évidemment parce qu’elle soulevait beaucoup de questions en moi, mais surtout par le fait que cette phrase prononcée en français, ce moment, était irréversible.Comme si la naissance de mon fils était venue m’annoncer la mort de ma langue maternelle.On peut trouver ces questions surannées, pourquoi encore se soucier du petit sort des langues, des patois, à l’heure du langage numérique et des identités (interchangeables) numériques. Cette question j’y ai depuis longtemps répondu : simplement parce que ma la langue et ma culture, m’importe ! Elles me constituent, et si elles s’effacent, je m’efface avec elle, je perds mon identité.L’identité, ce mot qui dès qu’on le revendique, dés qu’on essaie de le définir, s’échappe.L’identité, ce mot à la fois généreux et meurtrier, est-ce que je n’étais pas, au final, fatigué de le prononcer?Est-ce que ce fils à peine né allait lui aussi avoir la charge de cette obligation d’être : d’une langue, d’une région, d’un peuple, d’un drapeau?À travers l’écriture de ce spectacle, c’est une cartographie de l’intime et du territoire que j’ai entamé. Engagé et poétique, engagée poétiquement, avec l’envie d’être à l’écoute, de laisser parler cette langue qui m’échappe.
Blog Contrebande – Le Monde Diplomatique / 11 octobre 2019 / Marina Da Silva
Limoges, laboratoire des écritures et de la scène francophone
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Il ne faut pas non plus passer à côté de Maloya, mis en scène par David Gauchard, dont le texte est à paraître en novembre aux éditions Paradoxe. Sergio Grondin y interprète, avec le musicien Kwalud, une épopée magistrale dans la langue créole dont il interroge le statut à l’occasion de la naissance de son fils. Un parcours introspectif raconté sur le fil des souvenirs qui affleurent. Une gamine devenue muette parce que ses parents ne lui parlaient plus du tout pour qu’elle apprenne le français « comme il faut » à l’école. Georges, qui affirme que « le seul objectif qu’on assigne à l’économie de l’île [de la Réunion] c’est d’être au service des besoins de la métropole ». Ou Anny encore : « Le problème c’est qu’on a trop mis dans la tête des gens que le créole était sale, que c’était une langue de kaf, de noir. » Pour Sergio Grondin, le créole est un chant, un souffle, une musique qu’il transmet comme une fièvre. Au sol, de simples petits panneaux avec le nom des personnes convoquées dans cette évocation. Et puis la langue fleuve, la langue volcan d’Édouard Glissant et sa réflexion sur ce qu’il appelle le « chaos-monde » : « Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, l’ambiguïté saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées ouvertes, des pensées créoles ».
Les Trois Coups / 6 octobre 2019 / Laura Plas
Fils aimés des Zébrures d’automne
Le festival offrait cette semaine deux fortes réflexions sur la filiation : la pièce de Sergio Grondin, « Maloya » et la lecture du « Fils » de Marine Bachelot Nguyen, orchestrée par la Compagnie Méthylène. Deux approches sensibles et fortes qui résonnent en des temps de crispations identitaires.
Qu’est-ce que Maloya ? L’histoire d’un père qui, penché sur son fils nouveau-né, se prend à interroger le rapport qu’il entretient avec ses deux langues, le créole et le français ? Une enquête sur le maloya, danse et chant de la Réunion ? Une remise en cause des identités folklorisées ? La pièce écrite par Sergio Grondin est en fait assez délicate pour aborder toutes ces questions sans avoir l’air d’y toucher – passant ainsi insensiblement de l’intime à l’universel.
La scénographie évolutive de David Gauchard épouse ce même mouvement d’amplification : le plateau, d’abord presque nu, s’emplit peu à peu de noms, d’objets qui dessinent une île-monde aux contours nets mais poreux. Par ailleurs, si la mise en scène porte bien la marque de fabrique de son créateur, elle laisse toute sa place aux propositions des autres artistes associés au projet. Belle expression de la création d’une identité artistique elle-aussi ouverte.
Même la musique électronique de Kwalud n’est pas sans rapport avec le questionnement sur l’identité. En effet, le musicien installé à la Réunion, a su faire vibrer sa composition au traditionnel rythme ternaire de l’île. Il propose une partition résolument moderne qui semble elle aussi murmurer que la tradition perdure mieux dans l’évolution, que la meilleure défense et illustration d’une langue est l’invention.
La part de l’autre
Si Maloya part de la relation entre un père et son fils, la pièce de Marine Bachelot Nguyen intitulée le Fils nous fait, elle, entrer dans l’univers d’une mère. Plus exactement, elle nous permet d’envisager le point de vue d’une mère qui manifeste contre le mariage homosexuel, défend le christianisme et ne sait pas voir le malaise de son enfant.
Les dix jeunes lycéens-comédiens de Nouvelle Aquitaine ont mis en voix ce texte à l’occasion de la remise primée du prix Sony Labou Tansi des lycéens. Ils ont accepté de porter une parole qui n’était pas la leur, de manière à faire entendre les sirènes du communautarisme ou la galvanisation mortifère que procure l’ostracisme collectif. Et c’est une réussite. Non seulement, la lecture orchestrée par Elise Hôte et Renaud Frugier rend le texte accessible à tous, mais elle ouvre des possibles. En effet, elle fait entendre dans un monologue une dimension chorale insoupçonnée (le parti pris du metteur en scène David Gauchard pour qui Marine Bachelot Nguyen avait écrit le texte était très différent).
Portée par une jeunesse prête à écouter l’autre, mais à se battre aussi contre les carcans des identités religieuses ou sexuelles, cette lecture du Fils est un bel appel humaniste au sein du festival.
Mondesfrancophones.com / 4 octobre 2019 / Selim Lander
Créolité
Un Réunionnais, passionné par la culture créole, a conçu un spectacle inclassable – « conférence théâtralisée » semble le plus proche de la vérité – dans lequel il s’interroge sur l’identité réunionnaise, la part de sa musique (« maloya » est le nom d’une musique traditionnelle de l’île qui accompagnait le travail en commun de la terre – « lasoté » en créole martiniquais) et de sa langue créole, les menaces qui pèsent sur elle du fait de la scolarisation et de l’omniprésence des médias en français, sans parler de la mondialisation. Sergio Grondin est visiblement habité par son sujet et Maloya est à même de faire toucher du doigt aux spectateurs non avertis certaines contradictions psychologiques des insulaires ultramarins, pris qu’ils sont entre l’univers des parents ou plus souvent désormais des grands-parents ou arrière-grands-parents, et celui de la France et de la modernité.
Les Réunionnais sont représentés par leurs noms inscrits sur des cartons posés sur le plateau. Petit à petit il se couvre de ces noms, jusqu’à la fin où S. Grondin les entoure d’un grand cercle de sable figurant l’île. La M.E.S. est inventive et il n’y a rien à redire au fond à Maloya, sinon qu’il brasse des lieux communs pour les initiés (mais, encore une fois, la pièce ne semble pas leur être destinée). On remarque particulièrement un beau poème en créole récité par S. Grondin (sans surtitres, sans doute dans le but de concentrer les spectateurs sur la musicalité de la langue) et le tableau final avec l’embrasement du plateau. Une citation d’Edouard Glissant invite à méditer sur le fait de la diversité dans le « chaos-monde ».
WebThéâtre / mai 2019 / Gilles Costaz
Komidi, sur l’île de la Réunion – Une fête du jeu et du langage
[…] Mais la parole réunionnaise la plus haute est venue de Sergio Grondin s’interrogeant, dans son solo Maloya, mis en scène par David Gauchard, sur le langage, l’identité et la double culture : c’est le verbe d’un vrai poète, dénonçant l’étouffement du créole mais refusant les attitudes passéistes. Sergio Grondin, c’est, sur ces questions brûlantes des cultures minoritaires, une pensée, une écriture et une interprétation puissantes à mettre dans les balances de nos grands débats politico-culturels. […]
L’Humanité / 25 avril 2019 / Entretien mené par Michaël Mélinard
Sergio Grondin : « La parole m’a sauvé, je la prends pour la rendre aux gens. »
Comédien et auteur réunionnais, Sergio Grondin est aussi « rakontér ». Dans « Maloya », théâtre récit, il restitue l’histoire de ce chant créole longtemps clandestin, il dit cette « voix des opprimés » où il a trouvé la « fondation de sa propre parole ».
Au début du mois, Sergio Grondin se produisait au festival Mythos à Rennes pour présenter « Maloya », un spectacle hommage à ce courant musical et culturel réunionnais qui émergea dans les années 1970 avec le soutien du Parti communiste réunionnais (PCR). De retour dans son île, il participe à Komidi, un festival créé en 2008 à Saint-Joseph par une bande d’amis désireux d’apporter un peu d’imaginaire dans une zone culturellement dévastée.
Votre spectacle est une histoire de musique, mais aussi celle de la réappropriation d’une culture, d’une identité, d’une langue…
Le maloya et moi, c’est une rencontre un peu ratée. Je l’ai découvert à 15 ans. Depuis, il a pris une place prépondérante dans ma vie artistique, notamment la musique de Danyèl Waro. J’ai toujours voulu chanter le maloya. Malheureusement, j’ai un rapport bancal avec mon corps. Je suis toujours un peu à côté. Je danse très mal et je ne suis pas un très bon chanteur. C’est un peu comme ces choses qu’on aime mais qu’on a du mal à s’approprier. On essaie sans cesse, on les chérit, puis on les range dans un coin précieux.
J’ai rencontré l’écriture du maloya avec les textes de Danyèl Waro, la poésie de Patrice Treuthardt, celle de Gilbert Pounia, d’Alain Péters, de Francky Lauret et de tous ces auteurs qui m’ont accompagné. Cet esprit a été à la fondation de ma propre parole. Elle a été ma réappropriation culturelle par les mots, le théâtre, le fonnkèr – la poésie chez nous.
À cette époque, comme tout gamin de 15 ans qui se respecte, j’ai envie d’être un de ces gars des clips de hip-hop. Je veux ressembler à un Occidental puisque c’est le modèle qu’on me donne. Je prends une claque monumentale avec un enregistrement de Danyèl Waro qu’un ami me passe. J’ai l’impression qu’on m’a trompé. Ce modèle sur lequel je me suis calqué n’était qu’une mauvaise décalcomanie, un vieux carbone qui ne marchait pas. J’ai refait le chemin inverse, chercher cette langue, le créole, au travers du maloya.
Le spectacle commence au moment où mon fils naît. Je me demande comment je vais lui transmettre ce bagage, cette réappropriation culturelle dans la même problématique qu’à mes 15 ans.
-Que vous apporte Kwalud, le musicien et DJ qui vous accompagne sur scène ?
C’est le quatrième spectacle qu’on fait ensemble, une histoire de rencontre avec un zoreille. Un zoreille, c’est un métropolitain en vacances ou venu s’installer à La Réunion. Il y a deux explications. La première est que, lorsque les métropolitains arrivent, ils tendent l’oreille parce qu’ils ne comprennent pas. La deuxième, c’est parce qu’on coupait les oreilles des esclaves au moment où on les attrapait.
Lilian (Kwalud – NDLR) est un zoreille installé. Il fait de la musique électronique. J’y suis autiste parce que je n’ai pas cette sensibilité. La chanson française, le hip-hop, puis les musiques africaines sur lesquelles il travaille depuis des années nous réunissent. On a un seuil commun.
Depuis le premier spectacle, je m’interroge sur l’identité. L’identité multiple, bousculée dont on ne sait pas quoi faire et qui, souvent, nous ramène à un entre-soi qui me fait peur et ne me parle pas. J’ai envie d’enrichir ma parole, de la déstructurer, de la confronter, de la remettre en question. La musique électronique me permet de rencontrer cet ailleurs et de rétablir le dialogue avec l’autre, cet autre moi.
En quoi cette insularité ouverte participe-t-elle d’un questionnement plus universel ?
La vague migratoire est là. On a l’impression qu’elle vient bousculer nos zones de confort, nos traditions de vie, nos identités là où elle ne fait que les enrichir. La question se pose de manière très forte à Paris. Vu des îles, on a l’impression que ces gens qui rejettent l’immigration nous rejettent aussi. Mais, de l’autre côté, il faut voir les immondices pondues sur les réseaux sociaux sur le débarquement de bateaux de Sri-Lankais à La Réunion. Ils révèlent la réalité d’une opinion.
On a beau prôner cette identité maloya, en prendre soin, cela ne doit pas être au détriment de l’autre. Les Malgaches sont mal vus. Pourtant, nous sommes leurs descendants. On rejette nos propres origines, les Comoriens, les Mahorais, les Chinois, les Arabes, tout ce qui fait notre communauté, pour être dans un entre-soi qui peut être sanglant. Le vivre-ensemble réunionnais est une belle image d’Épinal translucide, fragile, complexe. On est un îlot de prospérité au milieu d’un océan de misère.
Ce petit miracle tient à la coexistence. On pense qu’elle est évidente mais, malheureusement, elle ne l’est pas. Il faut qu’on en prenne conscience avant que tout explose. On n’a pas d’autres choix, particulièrement sur un territoire qui fait 2 512 kilomètres carrés. On n’a pas de frontières. Si demain, ça se passe mal, où va-t-on aller ?
– Dans quelle mesure la langue créole favorise-t-elle cette coexistence ?
La langue est le fondement de tout, la chose première qui nous relie. À l’école, on pouvait prendre l’option espéranto. Mais l’espéranto, c’est le créole fait de portugais, de malgache, de français et d’autres langues trouvées sur le chemin. Le créole dit notre multiplicité. Je dis toujours aux zoreilles qui arrivent de parler le créole. Parce qu’à partir du moment où tu parles la langue, tu comprends le territoire dans toutes ses nuances.
– Que vient faire Georges Marchais dans votre spectacle ?
Le maloya passe par l’histoire du communisme. Le premier disque de maloya est produit par le PCR. À cette époque, le communisme est important dans l’histoire du maloya, mais aussi dans la mienne. Quand je fais, à 15 ans, cette réappropriation culturelle, le camarade qui me tend la cassette est militant de Lutte ouvrière. Il me passe cette cassette, des livres, me fait écouter, voir et participe à mon éducation.
J’étais un gamin des hauts de l’île dans un village de 400 personnes, avec une scolarité très chaotique. Je découvre la culture, l’éducation et le théâtre à travers les livres. Le communisme a été ce moyen de réappropriation culturelle, l’idée d’un renouveau et d’une convergence des luttes. On veut retirer du sens à des termes comme lutte des classes, devenus ringards alors qu’ils sont complètement d’actualité. Dans mon spectacle, Georges Marchais, c’est ma partie à moi, mon PCR à moi, mon maloya à moi. Cette voix, je l’entendais et la lisais dans des écrits mais aussi dans « le Collaro Show ». C’est la marionnette de mon adolescence. Pour plein de raisons, ce personnage m’était éminemment sympathique.
– Vous venez de participer à Rennes au festival Mythos et vous allez vous produire sur votre île dans le cadre de Komidi. Quelle est la différence d’approche ?
Il y a toutes les différences du monde et, en même temps, on est dans la même maison. Ce n’est pas pour rien que je suis un habitué de Mythos. Il y a quinze ans, quand je débarque pour la première fois en France métropolitaine, je n’ai concrètement envie de parler à aucun Français. Puis, je vais au fin fond de la Bretagne où je rencontre des gens du FLB, le front de libération breton, cette culture et ce travail sur la langue bretonne. Je reviens sur mes acquis politiques et identitaires clivants. Aujourd’hui, la Bretagne est ma deuxième maison. C’est la famille. Komidi aussi.
À Saint-Joseph, je ne peux pas être plus proche de mon sujet. Le Komidi est un cocon. J’y ai moins joué qu’à Mythos mais ce sont des gens que je fréquente tout au long de l’année. Après, il y a aussi toutes les différences du monde, parce qu’à Mythos je suis un artiste dans une machine, même si le festival n’est pas que cela. Je suis un artiste sorti de son cocon appelé à montrer un travail local à volonté universelle dans un endroit où il faut avant tout se vendre pour exister.
À Komidi, je n’ai rien à vendre. J’ai juste à exister. L’un n’empêchant pas l’autre. Mais cette différence est fondamentale. À Komidi, on est hors du microcosme culturel. Les planteurs, les femmes de ménage, les sans-emploi, les gens de rien viennent. C’est important d’être là et de jouer. Ce sont les deux bouts de la corde que je tiens en tant qu’artiste qui a la chance de s’exporter. Je suis hyperancré, mais cet ancrage est flottant. Je suis obligé de pousser hors sol, sinon, je ne vis pas.
– Pourquoi est-ce important de montrer ce spectacle aux « gens de rien » ?
Pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas des gens de rien. Je n’ai aucune formation théâtrale. Mon père est coupeur de cannes, ma mère ne travaillait pas. Un jour, j’ai juste eu envie de parler. La parole, celle qui manquait à ma mère, m’impliquait. Je sais qu’elle manque encore à plein de gens. J’ai grandi dans un milieu violent. La parole m’a sauvé le jour où j’ai pu mettre les mots sur la douleur. Depuis presque quinze ans, je n’ai jamais eu d’autre volonté que de prendre la parole et de la rendre aux gens. J’ai envie que mon petit frère qui ne travaille pas et vit dans un pauvre 9 mètres carrés très précaire se sente exister. C’est important d’être là pour leur dire qu’on peut y arriver et qu’on peut aussi ne pas y arriver.
Blog Le Monde L’arbre aux contes / juillet 2018 / Cristina Marino
A des degrés divers, la plupart des spectacles que j’ai pu voir en ce week-end de juillet dans le « off » du Festival d’Avignon utilisent comme matière de travail, comme source d’inspiration, l’histoire personnelle et familiale de leurs auteur(e)s et interprètes. C’est le cas notamment de plusieurs spectacles de contes qui se sont identifiés comme tels, rattachés sous la nouvelle catégorie créée dans la nomenclature de classification des spectacles du « off » dans le catalogue : « Art du récit » . Sur des thèmes très différents et variés, elles puisent toutes dans des éléments autobiographiques pour nourrir la trame de leur narration.
Je ne connaissais pas du tout le travail et l’univers de Sergio Grondin et de sa compagnie Karanbolaz. J’ai été voir deux de ses spectacles dans le « off » (Malaya et Kala) en grande partie parce qu’ils parlaient de l’île de La Réunion. Et franchement, ça a été une très agréable découverte, à la fois pour Maloya, spectacle qu’il met en scène avec David Gauchard et qu’il interprète au côté du musicien Kwalud à La Manufacture, et pour Kala, spectacle qu’il a mis en scène, interprété par la conteuse et comédienne Léone Louis (compagnie Baba Sifon), à la Chapelle du verbe incarné. Une fois encore, la dimension intime, personnelle est omniprésente dans ces deux spectacles qui se nourrissent, tout en les dépassant, des existences de ces artistes. Ainsi, le point de départ de Maloya est le sentiment qu’a ressenti Sergio Grondin lui-même en devenant papa et en s’apercevant de la difficulté qu’il éprouvait à s’adresser à son fils nouveau-né en créole (qui est pourtant sa langue maternelle). De cette expérience individuelle, très spécifique, il a su tirer une création à portée universelle, une réflexion d’ordre plus général sur ce qui fonde l’identité même d’un peuple, d’un territoire en collectant les témoignages de membres de sa famille et de personnalités locales autour du maloya, ce genre musical propre à l’île de La Réunion, à la fois chant, musique et danse, inscrit depuis 2009 dans la très sélective liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité certifiée par l’Unesco. J’ai particulièrement aimé la façon dont Sergio Grondin restitue sur scène tous ces témoignages collectés en amont du spectacle, grâce à un astucieux système de traduction quasi simultanée du créole au français et avec des petits cartons où sont indiqués les prénoms des personnes interrogées. C’est le mélange, la fusion de toutes ces paroles individuelles qui parvient à créer une réflexion plus vaste, plus générale sur la disparition ou la préservation d’une langue (le créole) face à la puissance unificatrice d’une autre (le français).
De même, dans Kala, si le point de départ du récit est l’histoire personnelle de Léone Louis et des femmes de sa famille (sa mère et sa grand-mère surtout), le spectacle élargit le propos à une réflexion plus globale sur la place des femmes dans les sociétés patriarcales, sur l’émancipation des femmes d’une génération à l’autre, sur l’héritage que l’on transmet à ses enfants. J’ai trouvé cette comédienne et conteuse, que je connaissais pas du tout, d’une très grande sincérité sur scène, elle ne triche pas avec ses émotions, on a le sentiment que cette histoire vient du plus profond de ses entrailles. Elle incarne avec passion et talent trois figures féminines : la figure mythique réunionnaise de Kala-GranmèrKal, ancienne esclave, femme-oiseau, sorcière ; la figure maternelle de la chanteuse de radio-crochet dans les années 1950, baptisée Madina ; la figure plus contemporaine de la petite fille puis jeune fille qui se libère progressivement du poids du passé familial et de son bégaiement à travers les arts du récit. Au travers de ces trois beaux portraits de femmes auxquels sont associés différents espaces scéniques et ambiances sonores (pour la chanteuse notamment, c’est l’artiste Kaloune qui lui prête sa voix par moments). La mise en scène très réussie convoque d’autres figures mythiques comme la chanteuse Barbara et son inoubliable Aigle noir et mêle habilement musique électro et maloya. Une représentation donnée d’ailleurs en ce dimanche de finale de Coupe du monde devant un public uniquement féminin.
Outre-mer la 1ère / juillet 2018 / Patrice Elie-dit-Cosaque
Maloya, enquête d’identité
Pianopanier.com / juillet 2018 / Marie-Hélène Guérin
Maloya, langue-monde
Madinin’Art / critiques culturelles de Martinique / juillet 2018
Maloya : un superbe road movie identitaire
Toujours dans la veine inépuisable du théâtre documentaire, en provenance de La Réunion, la Compagnie Karanbolaz de Sergio Grondin offre au public avignonais un petit bijou : Maloya.
Le cadre est fixé dès la scène d’exposition. « Il y a deux ans à la naissance de mon fils […] Saël, un prénom hébraïque que veut dire conciliant […] je lui ai dit Bienvenue Saël, ta maman et moi on est heureux de te voir. […] Je n’ai pas tout de suite réalisé que je lui avais parlé en français (Sergio parle quotidiennement à sa famille en créole ), comme si la naissance de son fils était venue lui annoncer la mort de sa langue maternelle.
Un trouble inexorable s’installe. Le défenseur de la créolité, élément fondamental de son identité, est submergé par un flot d’interrogations qui le traversent. Le trouble est d’autant plus grand que Sergio Grondin partage la position « Glissantienne » de la mondialité (Edouard Glissant) , inverse de la mondialisation qui met en évidence la relation et la diversité des cultures. Cette adresse en français de quoi est-elle le signe ? De quelle trahison est-elle porteuse ? De quelle menace d’uniformisation, de standardisation, de normalisation est-elle l’annonciatrice ?
Sergio Grondin va herser le champ mille fois labouré de la recherche des identités plurielles. La longue énumération des noms et prénoms soulignera la multiplicité des origines, leurs croisements et les fécondités gigognes dont elles sont issues. Il n’est de langue vivante que langue en devenir, en croisement, en gestation permanente par l’usage qui résulte de sa pratique dans l’immédiateté des faits et des évènements qu’elle tente de cerner sans pouvoir ni vouloir les enfermer. Prénoms sur cartons dessinent au sol une toponymie réunionnaise marquée d’un impossible enferment autour d’un drapeau, d’un état. Richesse d’un éclectisme autour d’une langue commune qui se présente comme le premier élément tangible d’une communauté.
Sergio Grondin par une présence sur scène d’une rare intensité donne vie à la multiplicité des origines et des échanges qu’elles entretiennent. Bouleversant d’authenticité il bouscule et touche au plus profond un public qui s’en va le coeur au bord des lèvres.
Le Quotidien (La Réunion) / juin 2018 / Florence Labache
Une parole libre, un regard poétique
« Sé in regar su out psi su out lang. Fo nou vey alu ek amour », confie Sergio Grondin avant d’entrer sur la scène du K,dans le cadre du Leu Tempo Festival.
Le conteur, comédien et auteur de la Cie Karanbolaz, qui s’est déjà illustré auprès de David Gauchard et Kwalud, dans « Les chiens de Bucarest » ou dans « Kok Batay », livre là un spectacle qui interroge la parole Maloya. Il s’avance sur scène dans une sorte de Kabar futuriste, qui se rattache au théâtre documentaire.
Smartphone en main, écouteur à l’oreille, le rakontèr déroule façon « road-movie » ce qu’est l’esprit Maloya. Le style laisse place à une parole naturelle et sereine. Annie Grondin, Danyèl Waro,Véronique Insa, Stéphane Négrin, Stéphane Grondin alias Boné, Eno Zangoun…ce sont eux qu’on entend à travers la bouche de Sergio Grondin.
« Je suis allé collecter la parole d’acteurs culturels, d’acteurs du Maloya. Sé kwé le maloya pou ou ? Je leur ai posé cette question. J’ai écouté, beaucoup écouté. Et je transmets à mon tour toute la richesse qui est ressortie de ce collectage. Annie m’a parlé de la graphie KWZ. Boné m’a parlé de l’histoire du communisme à la Réunion par exemple. »
Maloya offre un regard poétique sur la langue créole, l’identité réunionnaise et l’héritage du Maloya.
Il interroge, n’apporte pas une réponse, mais bien plusieurs questionnements.
Dans un procédé scénographie délicatement amené et signé David Gauchard, Sergio Grondin donne cette parole qui nourrit l’âme.
A ses côtés Kwalud construit en live une parole musicale qui vient épouser les mots de Sergio.
« On parle de l’esprit Maloya. Il y a le combat pour la langue créole qu’il faut continuer, pour qu’elle ne disparaisse pas. Mais ce spectacle n’est pas un lieu de combat. Ma langue n’est pas un drapeau. C’est un appel à la liberté de parole. Quand mon fils Saël est né il y a 2 ans, je me suis interrogé sur la question de la transmission de la langue. Notre rôle d’artiste est d’interroger. Saël signifie conciliant. Ce spectacle est un spectacle de conciliation » dit-il.
Sergio Grondin évoque ainsi les zarboutan Maloya : Gramoun et madame Lélé, Danyèl Waro, Céline et Firmin Viry, Simon Lagarrigue, Franwsa Sintomer… Les frissons nous gagnent à l’évocation de ses noms. Il égrène également les noms des artistes issus de cette nouvelle génération qui perpétue la culture Maloya. Sergio Grondin réussit à nous embarquer dans un spectacle où la culture créole se montre là, sincère et authentique. On apprécie.
Journal de l’île de la Réunion / mai 2018 / Marine Dusigne
Sergio, le coup de coeur du Leu Tempo !
Chaque année, il y en a un pour éclairer le festival d’une flamme originale assortie d’un supplément d’âme.
Cette fois c’est Sergio Grondin qui, au K fait battre les coeurs et les mains, tout à la fois, pour son ode au Maloya.
La création péi annoncée a toujours un effet particulier d’enthousiasme et de crainte mêlés, quand elle concerne un artiste que l’on aime.
D’autant quand il s’attaque à l’un des sujets sacrés d’une histoire dont il est lui même l’héritier et que ses pairs vont scruter, prêts à s’embraser s’il y a crime de lèse-majesté.
Soyez rassuré, Sergio signe « un Maloya » de mémoire, parfaitement jubilatoire où notre raconter préféré a lâché ses chiens pour laisser parler comme toujours, avec sa fougueuse nature, tout l’amour de son île, des ses rythmes et de sa culture.
Livre de joie
Avec les coups de langue goûtus de son causer « couillu » de poète exacerbé, le maître de Karanbolaz livre tout simplement le plus puissant des hommages à ceux qui aujourd’hui et bien avant lui font rutiler le Maloya devenu désormais livre de joie dont il tourne les pages avec les dalons de choix qui ont éclairé sa propre voie. Tout en mettant des points bien sentis sur le terrain « risky » militant et politique.
Un travail dont l’infinie simplicité, nimbée d’intensité, traduit l’immensité du travail accompli pour que son fonnker inédit rayonne avec autant d’authenticité que d’harmonie.
L’esprit tapageur et grand ouvert, avec toute la saveur dont il pétrit le verbe, dominant certainement, ses peurs tout autant que ses ambitions, c’est une sorte de culte, de prière à sa manière et à l’unisson des trésors de pensée de mentors conne le chantre de Ravanne et disciple d’Emmaüs, Bernard Grondin, qu’il met en l’air, bien qu’athée, avec un petit côté divin, leur parole dont il est le plus fier.
Des mots avec lesquels il a grandi et dont il sert ici la grandeur avec l’art d’un « grand faiseur » comme on disait dans le temps, des référents.
Bref ! … Ce Sergio-là est un cadeau qu’il faudra se hâter de déballer ailleurs et bientôt pour savourer la portée de ce propos ne faisant qu’esquisser les tonalités d’un tableau mis en musique et en image par le couple kwalud / David Gauchard avec autant de délicatesse que de tendresse.
Le Quotidien (La Réunion) / mai 2018 / Florence Labache
Une parole libre, un regard poétique.
« Sé in regar porté su nout péyi su nout lang » , confie Sergio Grondin avant d’entrer sur la scène du K, dans le cadre du Leu Tempo Festival.
Le conteur, comédien et auteur de la Cie Karanbolaz, qui s’est déjà illustré auprès de David Gauchard et Kwalud, dans « Les chiens de Bucarest » ou dans « Kok Batay », livre là un spectacle qui interroge la parole Maloya. Il s’avance sur scène dans une sorte de Kabar futuriste, qui se rattache authéâtre documentaire. Smartphone en main, écouteur à l’oreille, le rakontèr déroule façon « road-movie » ce qu’est l’esprit Maloya. Le style laisse place à une parole naturelle et sereine. Annie Grondin, Danyèl Waro, Véronique Insa, Stéphane Négrin, Stéphane Grondin alias Boné, Eno Zangoun… ce sont eux qu’on entend à travers la bouche de Sergio Grondin.
« Je suis allé collecter la parole d’acteurs culturels, d’acteurs du Maloya. Sé kwé le maloya pou ou ? Je leur ai posé cette question. J’ai écouté, beaucoup écouté. Et je transmets à mon tour toute la richesse qui est ressortie de ce collectage. Annie m’a parlé de la graphie KWZ. Boné m’a parlé de l’histoire du communisme à la Réunion par exemple. »
Maloya offre un regard poétique sur la langue créole, l’identité réunionnaise et l’héritage du Maloya. Il interroge, n’apporte pas une réponse, mais bien plusieurs questionnements.
Dans un procédé scénographique délicatement amené et signé David Gauchard, aux côtés du sensible musicien Kwalud qui vient épouser en live les mots du conteur, Sergio Grondin distille cette parole qui nourrit l’âme.
« On parle de l’esprit Maloya. De la vigilance pour perpétrer la langue créole afin qu’elle ne disparaisse pas. Mais ce spectacle n’est pas un lieu de combat. Ma langue n’est pas un drapeau. C’est un appel à la liberté de parole. Quand mon fils Saël est né il y a 2 ans, je me suis interrogé sur la question de la transmission de la langue. Notre rôle d’artiste est d’interroger. Saël signifie conciliant. Ce spectacle est un spectacle de conciliation » dit-il.
Sergio Grondin évoque ainsi les zarboutan Maloya : Gramoun et madame Lélé, Danyèl Waro, Céline et Firmin Viry, Simon Lagarrigue, Franwsa Sintomer… Les frissons nous gagnent à l’évocation de ses noms. Il égrène également les noms des artistes issus de cette nouvelle génération qui perpétue la culture Maloya. Sergio Grondin réussit à nous embarquer dans un spectacle où la culture créole se montre là, sincère et authentique.
On apprécie.
Bongou.re / avril 2018 / Zerbinette
Maloya. Le spectacle made in Reunion dont la gestation faisait trembler. D’abord parce qu’il s’annonçait comme un objet théâtral non identifié. Ensuite parce qu’il touchait à un patrimoine sensible sur cette île. Enfin parce qu’il marquait le retour sur scène de Sergio Grondin après deux ans d’absence. Qu’importe. La première au K fut un succès. Dissection dans ce papier.
Pour touiller la marmite identitaire réunionnaise , voilà un trio qui risquait le fiasco. À votre gauche, Kwalud. Maestro de l’électro éclectique. Accessoirement un grand tacite. Déraciné mais non dépossédé.
À votre droite le yab Grondin, colmatant ses failles généalogiques de sa gouaille analgésique. Enraciné sans être enfermé. À la mise en scène, David Gauchard, métro toujours sur le départ. Entre deux îles, entre deux hommes, celui dont l’identité n’a nul besoin d’être localisée.
Deux zoreys et un yab, tous co-auteurs. S’emparant d’une question, mais est-elle la leur. « Qu’est-ce qui fonde l’identité créole ? »Pour être risquée, l’entreprise n’est pas sans saveur.
Ne prends pas peur. Les auteurs aiment la maïeutique bien plus que la politique.
Au commencement, l’outrage. Grondin est papa. Lorsqu’il se penche sur le berceau, de vilaines fées font fourcher ses mots. Il parle à son fils en français. L’anathème est jeté. Le yab a trahi, son âme est damnée, Grondin va-t-il trancher la gorge de son identité ? Non. Mais ton voyage vient de commencer.
Il se joue à rebours, sous forme de collectage. Pour tenter de comprendre ce qui fait qu’on se pense réunionnais, lorsque la langue de bec se sent abandonnée, il convoque le Maloya. Merveilleuse métaphore de l’identité créole, qu’il suffirait d’interroger. Au passage, c’est souvent drôle. Quand Grondin prête sa voix aux piliers de la créolité, la parodie est musclée. Côté signature sonore, Kwalud ne verse pas dans la facilité. Que les inconditionnels du traditionnel passent leur chemin, cette musique-là ne leur dira rien. Et pour cause.
Le Maloya résiste à l’épreuve du « je ». Grondin a beau convoquer tous ses dalons, le Maloya repousse l’unicité d’une définition. Le conteur est forcé de multiplier les questions. Qui a raison ? La création se refuse à toute affirmation. Que c’est bon.
Alors la constellation créole peut déployer ses bataillons, et Grondin étaler des prénoms. Déposer les étiquettes de tous ceux qui ont parlé de leur Réunion. Ça sent Babel plus que l’union.
La mise en scène, souligne avec une vigueur subtile l’impossibilité d’enfermer ce Maloya dans une langue, fut-elle de bois. De receptacles de bambou s’échappent de bouillonnantes fumées, forces vives de la parole en fusion. Sur un écran qui servait à la traduction, les phrases se bousculent à reculons. ” Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où joue la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, l’ambiguité saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées ouvertes, des pensées créoles. ” Edouard Glissant en sage marraine a parlé. En français. Et qu’importe.
Kwalud, Gauchard et Grondin ont accouché d’un sacré bébé.
L’Imprimerie Nocturne / avril 2018 / Suliane
A la recherche de l’esprit Maloya
Une présentation, une esquisse, des bases de réflexions ; une phrase que Sergio dit à son fils tout neuf pour lui souhaiter la bienvenue chez ses parents : « Ta maman et moi on est heureux de te rencontrer… » Une phrase, à sa grande surprise (et impuissance), qu’il n’a pas prononcée dans sa langue maternelle, mais en français, la « langue de l’éducation ».
Troublé, l’auteur va mener l’enquête à partir de cette étincelle, et nous parler de ses questions, ses sensations, ses contradictions, ses doutes, son cœur et sa tête. Ne pas pouvoir effacer ce moment-là, celui de la venue au monde de ce petit bout d’homme, c’est ce qui le taraude, on le sent, il le dit.
« Suis-je acculturé ? Que vais-je transmettre à mon fils ? Qu’il doit lutter pour parler créole ? Est-ce si important ? »
L’héritage de violence léguée par son père à lui, il a l’impression de l’avoir réglé (on pense en effet à Kok Batay, présenté à Mythos en 2013, aux Chiens de Bucarest présenté, lui, en 2015).
Mais aujourd’hui, il est propulsé dans cette question neuve, soudaine, prenant une importance symbolique : son fils.
La langue est un espace de mutation perpétuel, dit Grondin : « À vouloir trop définir une langue, est-ce qu’on ne la tue pas en la figeant ? Suis-je responsable de la mort du créole quand je parle français ? »
Sur ces questions très personnelles et en même temps très universelles, Grondin et son équipe nous emmènent à la recherche de l’essence du maloya – tout à la fois musique, chant et danse créole réunionnais – par le biais de subtiles interviews. On entend les voix des hommes et des femmes du maloya. On est bercé des sonorités créoles portant en elles tout un panel d’émotions, de faits historiques, de joies, de souffrances. Et puis on reçoit des images, baignées de sucre, de canne à sucre. « Tout l’horizon est vert et rose. […] La fleur de cette misère, ces hommes-là en ont fait de la poésie ».
On y aborde la culture, l’héritage, l’identité, la honte ou la fierté de sa langue, sans oublier, donc, la beauté et la poésie.
La parole, les chansons et les images naissent tantôt de la voix et la présence du conteur, tantôt des outils numériques qu’il tient, regarde, déplace, pose sur la scène. Les interviews se répondent comme dans un débat, les ingrédients sont disséminés au fur et à mesure sur le plateau, liés par les sons de Kwalud derrière ses potars, nous guidant pour surfer sur toute cette matière numérique mais bel et bien vivante. Sergio, Kwalud, et David Gauchard convoquent tout doucement tout un peuple qui se dessine sur la scène à l’aide de petits papiers déposés à même le sol.
Maloya, un ancrage dans la chair, le corps, la langue, les chemins de vie, l’histoire de l’Homme, en somme, comme « saudade » au Brésil : plus qu’une musique, une nostalgie, un état d’esprit. Le maloya c’est une parole. C’est aussi un outil de lutte et de libération évoluant au fil des époques. Libération de l’esclavage, puis celui plus moderne des travailleurs de l’industrialisation, par la politique, le communisme ; et aujourd’hui, parole de libération d’un engagement politique, écologique ou enjeu commercial. Ne garder que la poésie, qui est la seule qui libère. Même si, certes, « elle ne donne pas à manger »…
Maintenant, il ne reste plus qu’à patienter jusqu’à ce que ces 3 hommes de la scène aient compilé toute cette matière, pour découvrir dans une version finale, affinée, l’aspect graphique du spectacle en prime.
Rdv à La Réunion pour les plus chanceux les 10 & 11 mai à Leu Tempo Festival pour la création et séance de rattrapage pour les autres cet été à la Manufacture lors du Festival d’Avignon 2018.
Azenda / juin 2017 / Zerbinette
Maloya
Quelle place a occupé le créole dans ton adolescence ?
Un jeudi de juin 2017, 17 heures, PMU de Boucan. Trois hommes scalpent des mousses. À ma gauche, Grondin règle son enregistreur, tournée vers François Gaertner, alors rédacteur en chef de l’Azenda : « Quelle place a occupé le créole dans ton adolescence ? ». Question bateau mais terrain glissant.
Gaertner, un métro qui a grandi dans l’ouest de La Réunion ne s’y méprend pas. Il répond prudemment : « Au début, je vivais le créole plutôt comme une différence. Au collège, il y avait ceux pour qui le créole était une langue naturelle, et les autres… »
En face de moi, David Gauchard, concentré, écoute. Ces questions, les deux hommes les ont posées de nombreuses fois. De Danyel Waro à la « gramoun dan somin ». Les habitants de La Réunion, toutes origines confondues, ont eu voix au chapitre lors d’un road trip identitaire mené micro battant.
Je me terre dans mon coin, pour ne pas être questionnée. Lorsqu’il s’agit de réfléchir à l’essence d’une identité, le fantôme du colonialisme paralyse ma langue natale du poids de la culpabilité.
Le soleil se sauve et l’équipe remballe. J’ai assisté sans le savoir à l’une des nombreuses séances de collectage audio, prévues pour devenir le corps du nouveau spectacle du trio Grondin/ Gauchard/ Kwalud, intitulé » Maloya ».
Difficile, avec pareil nom de baptême, de penser que Grondin n’affichera aucun parti pris, dans le vaste débat identitaire qui se profile. D’une part parce que le nom de Maloya porte en soi un symbolisme fort : le genre musical qu’il caractérise est héritier du chant des esclaves. D’autre part parce que le bonhomme est connu pour son implication, dans la défense et la préservation de la langue créole.
Si je parvenais à lui faire avouer que le Maloya qu’il nous prépare est en fait un manifeste identitaire, cela me faciliterait grandement la tâche. L’avantage du cliché, c’est qu’il est rapide à saisir. Mais le problème avec Grondin, c’est qu’il ne les aime guère : « Je n’ai pas tout le temps des choses à défendre » m’assène ce Samson de la créolité réunionnaise, qui avoue tout de même qu’après 10 ans de tournées « dan péi déor », il se sent comme le biblique héros auquel on a coupé les cheveux. « Ces questions d’identité c’est aussi ce qui fait ma force. Je suis né ici, je suis profondément réunionnais. Dans Maloya, j’avais besoin de revenir à ça : je suis né sur un territoire qui se construit et je ne dois pas oublier ça. »
Un projet paradoxal
Soit. À de multiples égards pourtant, la démarche du projet est paradoxale. D’abord parce que pour définir les contours de « l’être » réunionnais, Grondin se plaît à osciller insolemment entre ouverture à l’autre et marquage des territoires. Que penser en effet d’un homme capable d’écrire Zorey, un spectacle dressant trois portraits d’une drôlerie cynique ; pour en convoquer un (de zoreil), David Gauchard, à la codirection du CDOI. Les deux hommes briguant conjointement la direction du Centre Dramatique.
Voilà de quoi faire frémir le plus frileux des indépendantistes, mais le fieffé yab n’en a cure : « David Gauchard est un zorey, mais pas enraciné, il n’est pas ancré, son point de vue est complémentaire. Ca m’intéresse le regard de ce zorey. C’est confortable l’identité mais l’étranger te ramène quelque chose de dérangeant. C’est un chemin à partager. Il y a forcément des choses sur ma propre identité. »
S’ouvrir à l’autre pour mieux revenir à soi semble donc être le chemin proposé par les deux artistes pour comprendre ce que signifie être réunionnais. Une position qui incite à l’ouverture d’esprit et de fait, ne manque pas de noblesse.
Reste que le contenu de cette création appelle bien des questionnements.
Quel est la fonction des artistes dans Maloya puisqu’ils n’y jouent pas leur rôle d’acteurs ? Si Gauchard et Grondin deviennent voyeurs puisque derrière le micro, et que les artistes confient aux réunionnais la mission de définir leur identité, la divergence des points de vue ne risque-t-elle pas de menacer l’unité de sens ? Comment dire et définir « l’ici », et le » Soi », s’il incombe à tous d’en être propriétaires ?
« Je vais me taire pour une fois et je vais écouter. Plus de monologue. Plus de récit. Ce sera un récit concert ou les gens qui prennent la parole sont des gens du pays. »
Maloya débattu
À l’instar des forums grecs, Maloya propose donc d’ouvrir le débat citoyen au risque peut-être de perturber le ronronnement bien pensant des haines ordinaires. Sans vouloir verser ni dans le candide idéalisme qui masque les différences ni dans l’abject racisme qui les exalte, Grondin semble résolu à poser les limites de son identité sans qu’elles soient pour autant des obstacles pour l’autre.
« J’ai besoin que l’identité soit un pas vers l’autre », conclut-il en une formule qui, en dépit de sa séduisante naïveté, donne terriblement envie d’entrer dans la danse.
CRÉATION
10-11 mai 2018 Leu Tempo Festival, Le Séchoir, Saint Leu – La Réunion
DIFFUSION
Saison 19-20
3-4 octobre 2019 Festival Francophonies en Limousin, Théâtre de L’union, Limoges
18 octobre 2019 Cité des Arts, Saint Denis – La Réunion
31 octobre 2019 Théâtre Lucet Langernier, Saint Pierre – La Réunion
7 novembre 2019 Quai des Arts, Rumilly
9-10 novembre 2019 Le Sillon, Clermont l’Hérault
12 novembre 2019 L’Appolo, Boucau – Scène Nationale du Sud-Aquitain
16 novembre 2019 L’Astrolabe, Figeac
19 novembre 2019 Espace culturel L’Hermine, Sarzeau
21 novembre 2019 Théâtre Le Strapontin, Pont Scorff
23 novembre 2019 Quai des Rêves, Centre culturel de Lamballe
28 mars 2020 La Grange Dimière, Fresnes
12-13 mai 2020 Théâtre de Saint Quentin en Yvelines, scène nationale
15 mai 2020 Villes en scènes, Salle du Rafiot, Flamanville
19 mai 2020 Lespas culturel Leconte de Lisle, Saint Paul – La Réunion
Saison 18-19
22-24 octobre 2019 CDOI, Théâtre du Grand Marché, Saint Denis – La Réunion
13-14 février 2019 Les Bambous, Saint Benoît – La Réunion
1, 5 et 8 mars 2019 Théâtre sous les arbres, Le Port – La Réunion
4-5 avril 2019 Festival Mythos, Théâtre du Cercle, Rennes
29-30 avril 2019 Festival Komidi, Gymnase Vincendo, Saint Joseph – La Réunion
6 juin 2019 IUT, Saint Paul – La Réunion
Saison 17-18
19 avril 2018 Festival Mythos, La Paillette, Rennes (lecture)
1er juin 2018 Théâtre du Champ Fleuri, Saint Denis – La Réunion
6-26 juillet 2018 La Manufacture, Avignon festival off
Saison 16-17
18 avril 2017 Festival Mythos, Théâtre de la Parcheminerie, Rennes (lecture)
13 juin 2017 Festival Chahuts, L’OARA, Bordeaux (lecture)
« Des pensées métisses, des pensées ouvertes, des pensées créoles. » Edouard Glissant