David Gauchard pose son regard sur un métier méconnu, source de fantasmes et d’idées préconçues. À la rencontre des modèles vivants, le metteur en scène interroge la nudité et esquisse un portrait.
Une nouvelle enquête pour tenter de comprendre et incarner le nu artistique, social et politique.
David Gauchard et Léonore Chaix ont interviewé et enregistré des modèles professionnels venus d’ateliers de dessin, de musées ou d’écoles d’art. Ce temps d’échange et d’écoute a permis d’entendre les motivations de ces personnes qui ont fait vœu d’immobilité, leurs sensations, leurs expériences, et au-delà, lever le voile sur ce métier, ses règles et ses fantasmes.
La comédienne Emmanuelle Hiron et le comédien Alexandre Le Nours incarneront tour à tour ces récits pour esquisser en temps réel le corps de ces modèles, la beauté des contours, la complexité et la fragilité de ces êtres qui toujours tiennent la pose.
« Quel regard porte la sociologie sur le métier de nu ? Pour le dire frontalement : aucun. Une brève revue de la littérature en la matière nous suggère que le « nu » n’a jamais été investigué par la sociologie des professions, sinon peut-être du côté de la pornographie. Mais ce réductionnisme ne saurait nous satisfaire. Traduire quelque chose de l’expérience des modèles nu.e.s en sociologie, c’est donc mieux comprendre la place du modèle et la place du corps nu dans nos sociétés, tiraillées par des questions morales, esthétiques, de genre ou de rapport à l’intime. Ces entrées thématiques n’ont pas qu’une valeur heuristique : elles accompagnent la création du spectacle de David Gauchard dans l’exploration des expériences sensorielles, relationnelles et sociales des profesionnel.le.s rencontré.e.s. A cet endroit de la création artistique et scientifique, la sociologie et le théâtre ont décidé de faire un bout de chemin ensemble. »
Arnaud Alessandrin
© Pierre Bellec & Dan Ramaën
Idée originale et mise en scène David Gauchard
Avec Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours
Collaboratrice artistique Léonore Chaix
Docteur en sociologie Arnaud Alessandrin
Création lumière Jérémie Cusenier
Régie lumière Olivier Borde
Création son Denis Malard
Régie son (en alternance) Denis Malard & Gildas Gaboriau
Scénographie Fabien Teigné
Réalisation décor Ateliers de l’Opéra de Limoges
Visuel Virginie Pola Garnier & David Moreau
L’unijambiste tient vivement à remercier les modèles interviewé.e.s pour l’écriture de ce spectacle : Enora Kerouanton, Solène Retourné Angéline Raimbaud, Maxime Lemoyne, Claire Leslie, Mélissa Charrier, Maud Modjo, Charlotte Chamalot, Luc Chavy, Sylvie Leroux, Jean-Jacques Jacquemin, Adrien Aras, Françoise Royer-Rondeau, Victor Lalmanach, Mireille Gérard, Camille Dincher, Julien Leroy, Hélène Sir Senior et Zoé Besmond de Senneville.
Création les 10 et 11 juin 2021 au Théâtre de St Quentin en Yvelines, scène nationale
Durée estimée > 1h20
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Production > L’unijambiste
Coproduction > Théâtre de St Quentin en Yvelines, Scène nationale – Espace Malraux, Scène nationale de Chambéry et de la Savoie – OARA, Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux – Culture Commune, Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais – Théâtre de Cornouaille, Centre de création musicale, Scène nationale de Quimper – Le Canal, Théâtre du Pays de Redon – Les Scènes du Jura, Scène nationale
Soutiens > Théâtre L’Aire Libre, St Jacques de la Lande – Ecole des Beaux Arts, Quimper
La Terrasse / 7 décembre 2022 / Catherine Robert
David Gauchard met en scène un spectacle passionnant à partir des témoignages recueillis de modèles vivants. Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours y sont éblouisssants.
On sait que Géricault se rendit à la morgue pour peupler Le Radeau de la Méduse. On a récemment appris que c’est « l’intérieur » de Constance Quéniaux dont Courbet fit L’Origine du monde. Mais on ignore tout de ceux qui se dévêtent pour permettre aux artistes de peindre le corps humain. Si la représentation des raies flasques et des lapins morts ne fait pas extravaguer l’imagination du spectateur, le modèle vivant est propice aux fantasmes. Quid de la sexualité dans l’exposition de soi au regard de l’artiste ? Les muscles bandés dans l’effort de la pose s’accompagnent-ils d’autres contractions plus gênantes ? Qui pose ? Comment devient-on modèle ? Jusqu’à quel âge et pour quel salaire ? Voilà quelques-unes des questions que David Gauchard et Léonore Chaix ont posées à des anonymes qui acceptent de se faire chair à pinceau. Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours interprètent ces témoignages avec autant de brio que de subtilité.
L’esprit de la chair
Les deux comédiens sont guidés par des oreillettes, grâce auxquelles ils entendent la voix des interviewés qu’ils reproduisent en direct. Ils passent d’un genre à un autre et d’âge en âge avec une stupéfiante aisance. Ce dispositif original, qui les dispense d’apprendre le texte, les place dans une situation de fragilité particulièrement propice à la restitution des aléas psychologiques du récit. L’émotion est à fleur de peau, à fleur de cil, contenue dans chaque geste qui accompagne les ruptures du propos. Celui-là semble être dit pour la première fois, transformant la représentation, dont on sait bien, pourtant, qu’elle sera répétée, en un moment de grâce unique. Le quatrième mur est aboli. Seule la pudeur des comédiens maintient la distance qui fait que le théâtre est théâtre, exactement comme la frontière invisible du tabou est posée entre le modèle et l’artiste. Parce qu’il rend l’œuvre possible, le corps du modèle n’est plus seulement humain ; parce qu’ils sont interprètes, celui des comédiens n’est pas sacrifié au personnage. Etonnamment, c’est la forme du spectacle, plus encore que son texte, qui parvient à dire le paradoxe d’une nudité qui s’offre à voir sans se donner à saisir, préservant intact le mystère de la représentation. L’équilibre ainsi tenu entre réserve et générosité est absolument magnifique à contempler. Les deux comédiens qui réussissent cette fascinante performance sont talentueux et touchants. L’interprétation est sidérante de vérité : la voir ainsi virevolter entre transparence et obstacle est jubilatoire.
Blog culture du SNES-FSU / 16 décembre 2022 / Jean-Pierre Haddad
Théâtre(s) / Hiver 2021 / Tiphaine Le Roy
David Gauchard donne la parole à des personnes invisibilisées, les modèles nus. Passionnant
Toutelaculture / 24 juillet 2021 / Thomas Cepitelli
Avignon OFF : David Gauchard nous offre un regard mis à « Nu »
Dans un dispositif qui met en abîme le regard du spectateur, David Gauchard continue de creuser le sillon d’un théâtre au service des invisibles, des inaudibles. Une mise à nu salutaire et passionnante.
Claire, Maxime, Luc, Sylvie, Mireille ont entre 20 et 75 ans. Leur métier : modèles vivants, ils s’offrent donc au regard des autres dans le plus « simple » appareil. David Gauchard fait entendre leur voix que l’on n’a jamais entendue comme nous le rappelle Arnaud Alessandrin, sociologue associé au projet. Ils et elles disent le regard que portent sur eux les élèves des cours de dessin, les peintres qui les emploient, leurs amis, leur famille. Mais aussi, et surtout, celui que ce métier leur a fait poser sur leur propre corps. Qu’est-ce que regarder un corps nu ? Qu’est-ce que la nudité ? Qu’est-ce que l’on cache quand on se montre ? Au fond, qu’est-ce que l’intime ?
Sur scène : une sellette, une scène de bois clair avec un podium au fond, un écran de télévision où apparaîtra le prénom de la personne interrogée, son âge et la durée du témoignage. Le protocole de l’entretien nous est donné en voix off au début du spectacle. Le théâtre documentaire est donc ici clairement identifié voire revendiqué. Sur scène, Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours sont les voix de ces modèles. Munis d’oreillettes où, vraisemblablement, la bande-son de l’entretien leur est diffusée, ils les interprètent au sens fort du terme : les rires gênés ou décomplexés, les silences qui en disent long ou qui interrogent, les réflexions profondes ou les anecdotes juste amusantes. Il est passionnant de voir à quel point le procédé est infiniment proche du réel et pourtant combien le jeu théâtral est présent.
Certains de ces témoignages sont tout simplement bouleversants. Celui, par exemple, dans lequel une modèle « se voit » pour la première fois dans le regard démultiplié de ceux qui l’ont dessinée. Ou bien celui de ce jeune prostitué qui s’est « réapproprié » son propre corps par le métier de modèle et sa création artistique. Un des aspects passionnants de cette forme, bien plus riche et complexe qu’il n’y paraît, est de ne pas se faire leçon d’histoire de l’art. Il n’est presque pas question de grands noms de modèles ou de peintres. Non, ce qui est pensé ici en lien avec la question de la nudité que nous évoquions plus haut, c’est l’économie du regard. Et quel autre endroit qu’une cage de scène pour la poser ?
Wanderer / 21 juillet 2021 / Thierry Jallet
Avignon OFF : Délicat striptease à la Manufacture
Politis / 14 juillet 2021 / Anaïs Heluin
Avignon OFF : A corps ouvert
Pour aborder sur scène la question du nu artistique, le metteur en scène David Gauchard fait appel au sociologue Arnaud Alessandrin.
Elles et ils ont 32, 43, 22 ou 75 ans. L’une est coordinatrice culturelle, l’autre comédien, une autre encore fut auteure–compositrice, plusieurs sont plasticiens… Certains vivent entièrement du métier sur lequel le metteur en scène David Gauchard et sa collaboratrice, Léonore Chaix, les ont interrogés : celui de modèle vivant. Pour la création du spectacle Nu, tous les deux ont réalisé une enquête selon une méthode mise au point avec le sociologue Arnaud Alessandrin. Ils ont mené des entretiens avec une cinquantaine de modèles de profils divers. Ils les ont enregistrés puis ont effectué un tri pour n’en garder qu’une dizaine, qui constituent la matière première de la pièce. Son corps, avec autant de forces que de fragilités. Avec ses audaces et ses pudeurs.
Riches, souvent inattendues, ces paroles font davantage que dessiner les contours d’une profession méconnue : elles questionnent la place de la nudité dans notre société. Elles disent que la liberté n’a pas forcément la forme qu’on attend, que si elle peut se loger dans le mouvement, dans le voyage, elle peut aussi le faire dans l’immobilité. Les comédiens Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours sont entre les deux : passeurs des témoignages, ils leur donnent vie sans incarner celles et ceux qui les ont formulés. Assis la plupart du temps, ils restituent les mots des modèles, qui leur arrivent par casque. Ils en suivent le rythme, l’intonation, et y ajoutent quelques gestes. Juste ce qu’il faut pour donner vie à des pensées vives, en action.
En ne cherchant pas à dissimuler ce dispositif – ce qui est souvent le cas au cinéma –, David Gauchard présente en quelque sorte son théâtre dans son plus simple appareil. S’il ne met pas ses comédiens à nu au sens propre, il leur impose de n’utiliser que le minimum de techniques vitales au théâtre. Leurs hésitations, leurs doutes, font ainsi parfaitement écho à ceux des modèles, qui semblent souvent découvrir leurs pensées en les exprimant. Elles sont très diverses et d’autant plus passionnantes que, comme l’explique le sociologue embarqué dans l’aventure, « le “nu” n’a jamais été investigué par la sociologie des professions, sinon peut-être du côté de la pornographie ».
En partageant en toute simplicité les récits récoltés par David Gauchard, les comédiens nous font découvrir un univers beaucoup plus complexe que ce à quoi il est trop souvent réduit. Les modèles, au fond, n’ont pas de modèle. Artistiques, intimes, sociales ou encore politiques, leurs motivations à poser nus sont multiples, mais toujours solides. Suffisamment pour résister à la précarité financière, due à un manque de reconnaissance, voire à une forme de mépris.
Les détails / juillet 2021 / Walter Georges-Henri
David Gauchard « Je sentais que ce métier pouvait être au milieu de contradictions assez fortes »
Le métier de modèle vivant, méconnu, charrie son lot de fantasmes et de préjugés. David Gauchard est parti avec Léonore Chaix, à la rencontre d’artistes de la pose découverte pour créer Nu une pièce à voir à La Manufacture à Avignon du 16 au 25 juillet 2021
David, pour créer la pièce, Léonore Chaix et vous avez interviewé des modèles vivants professionnels. Est-ce que ces entretiens ont bouleversé la perception que vous aviez de ce métier ?
J’aime aller vers des sujets où il y a une forte part d’inconnu. Je ne connaissais pas grand-chose au métier de modèle vivant, et j’avais fait peu de projections à son sujet. Mon intuition était celle d’un métier complexe. Par exemple, je me demandais quelle était la réaction, dans une famille, lorsque quelqu’un annonce que son métier est désormais de poser nu. Je sentais que ce métier pouvait être au milieu de contradictions assez fortes.
Au théâtre, le nu reste une question toujours compliquée, très tabou. Pour en revenir au métier de modèle vivant, il faut avoir conscience qu’un modèle vivant ne parle pas : il passe par sa loge, se désabille, puis pose. Par ailleurs, il s’agit d’un métier solitaire. Les modèles se croisent rarement, même quand ils travaillent dans la même ville. Ils posent rarement à deux. Ces entretiens étaient pour chaque modèle que nous avons rencontré une occasion unique de s’exprimer à propos de son métier. C’est comme si nous ouvrions un robinet, ce qui a donné des échanges très fournis.
Ce qui m’a le plus surpris, dans ce que nous ont dit les modèles vivants que nous avons interviewés, c’est l’épanouissement dans la pratique de leur métier. Les modèles sont touts extrêmement positifs à propos de leur métier. Ils n’éprouvent aucun doutes aucun problèmes à le pratiquer.
La mise en scène donne l’impression d’une restitution brute des propos des modèles vivants. Dans quelle mesure le travail d’écriture s’est-il réapproprié la parole ?
En amont, nous avons travaillé avec le sociologue Arnaud Alessandrin, qui nous a donné quelques techniques pour réaliser les interviews, nous avons travaillé sur la notion de consentement. Il a été stipulé à chaque modèle vivant que l’entretien allait servir à l’écriture d’un projet théâtral, que des séquences pourraient être coupées. Nous avons d’abord cherché des modèles dans des centres d’art. Puis les modèles sont venus vers nous. Ils avaient entendu parler du projet et souhaitaient s’exprimer.
Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours n’ont pas rencontré les modèles vivants. Ils n’ont pas assisté aux interviews. Je ne voulais pas que se mette en place une empathie, par rapport aux corps notamment. Je souhaitais aussi qu’ils imaginent un corps à partir d’une interview. La seule information qui leur était donnée était le prénom et l’âge. Ensuite, ils avaient à disposition l’intégralité de chaque interview, en moyenne 1h30 d’enregistrement. Ils en tiraient 20 à 25 minutes d’entretien. Puis, avec Denis Malard, le créateur son, nous avons condensé ces 25 minutes en capsules de 6/7 minutes. Le contenu de ces capsules a été choisi en fonction de la vision d’ensemble que nous avions de tous les enregistrements, afin d’éviter des redondances par exemple.
Nous n’avons pas réécrit les propos des modèles vivants. Il n’y a pas de tricherie. C’est une restitution brute. À tel point que les acteurs n’apprennent pas par cœur le texte. il n’y a pas de texte écrit, d’ailleurs. Durant une représentation, ils entendent l’interview dans une oreillette, y compris les questions que nous avons posées. Ils répètent ensuite ce que les personnes interviewées ont répondu. il esquissent les modèles vivants de cette manière.
Le contenu de la pièce va évoluer dans le temps, puisque nous allons inviter, dans les villes où la pièce sera jouée, des modèles à venir poser à la fin de la représentation. Des entretiens supplémentaires seront réalisés avec ces modèles, ce qui produira de nouvelles capsules. D’autres comédiens seront ainsi amenés à restituer la parole des modèles vivants. Il y aura aussi des représentations dans le cadre de nuits au musée, où davantage de capsules seront restituées, avec une distribution plus importante.
Dans la pièce, un parallèle s’établit entre le métier de modèle vivant et celui de comédien, à travers le témoignage de Maxime qui dit être, comme un comédien, au centre des regards, le témoignage de Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours au sujet de leur rapport au nu dans leur vie d’acteur, ou encore le témoignage de Charles, qui parle de la précarité. Est-ce quelque chose que vous aviez déjà en tête avant de créer la pièce ?
Le parallèle en termes de précarité, absolument. La précarité, la fragilité, l’essentialité de nos métiers. À quoi cela sert, aujourd’hui, de mettre un corps nu devant des étudiants ? À quoi cela sert, le théâtre ? Un acteur ? L’Art ?
La précarité n’est pas seulement financière. Cela apparaît très bien dans le témoignage de Charles, l’un des modèles interviewés. Sous prétexte de pratiquer le métier que l’on aime, on serait mis à l’écart de la société.
Il y a une pénibilité du métier de modèle vivant qui peut-être n’apparaît pas assez dans le spectacle. une partie immergée, comme c’est le cas pour l’acteur, à propos duquel on retient uniquement le côté agréable de son métier, sans considérer tout le travail effectué en amont, outre le téléphone qui peut s’arrêter de sonner.
Néanmoins, en discutant avec Emmanuelle et Alexandre, des nuances sont apparues. Un acteur est un interprète. Sur scène, ce n’est pas lui, en tant que personne, que nous voyons, mais son interprétation, qui passe par son corps.
Sceneweb / 11 juillet 2021 / Anaïs Heluin
David Gauchard met le théâtre à nu
Avec sa compagnie L’Unijambiste, le metteur en scène David Gauchard pratique un théâtre de la rencontre. Sur scène, mais aussi en amont, dans son processus de création, il rassemble des êtres et des choses qui n’auraient sans doute pu se rencontrer autrement. Il « réconcilie », comme il dit, des histoires, des langages séparés les uns des autres. Dans chacune de ses créations, aux formes et aux sujets très variés, il envoie le théâtre au-devant des réalités et des écritures qui l’intéressent. Il l’emmène à l’aventure. Récemment, par exemple, il entreprend un voyage au cœur de Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau dans Le temps est la rivière où je m’en vais pêcher. Il s’y fait « arpenteur », pour « marcher, écouter, ressentir, être partie prenante de ce qui advient par la rencontre ». Dans Maloya, il accompagne le conteur Sergio Grondin dans une recherche sur les grandes figures de la musique éponyme. Tandis que dans Time to tell, il guide le jongleur Martin Palisse dans le récit de sa maladie, la mucoviscidose, et de ce que celle-ci fait à son art et à sa vie.
Depuis quelques temps, L’Unijambiste affirme ainsi son goût pour l’entretien, pour l’enquête. Avec Nu, que nous avons pu voir en représentation professionnelle au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines dont David Gauchard est artiste associé, la compagnie fait un pas supplémentaire dans ce domaine. Comme à son habitude, le territoire qu’y explore le metteur en scène est pour lui et ses acolytes presqu’inconnu. « Source de fantasmes et d’idées préconçues », écrit-il, le métier de modèle vivant lui ouvre un vaste espace de « réconciliation ». Avec sa collaboratrice Léonore Chaix, il y entre selon une méthode mise au point avec le sociologue Arnaud Alessandrin : il mène des entretiens avec une cinquantaine de modèles rencontrés dans des ateliers amateurs, des écoles de design et aux beaux-arts, qu’il introduit à chaque fois en énonçant ces règles, projetées au début du spectacle : « Comme tu le sais, ce que tu vas me dire va être enregistré sur ce téléphone et ton témoignage servira à l’écriture de ce spectacle… Alors, comme convenu, tu es libre de répondre aux questions que tu désires, de ne donner que les informations que tu souhaites, et tu peux revenir ou modifier à tout instant tes propos ».
En exhibant d’emblée son procédé, David Gauchard met son théâtre dans le même état que les personnes qu’il interroge : à nu. Dans la dizaine d’entretiens sélectionnés pour la pièce, les traces de fabrication du montage, ses coutures, sont visibles à chaque instant. Pour porter ces témoignages, les comédiens Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours adoptent de plus une approche qui ne laisse aucun doute sur le long travail mené en amont par l’équipe de création, et sur la transformation que produit forcément le partage des paroles collectées lors d’un entretien téléphonique ou en tête-à-tête. Comme cela se fait parfois au cinéma, ils restituent en direct les mots qui leur arrivent depuis le casque qu’ils enfilent au début de chaque témoignage, à tour de rôle. N’ayant pas appris leurs textes, ils ne risquent pas ainsi d’incarner les modèles vivants dont les récits constituent l’essentiel de la pièce. Aussi fragiles qu’eux en situation de pose, les comédiens se doivent d’être des passeurs pleinement présents, entièrement disponibles pour la rencontre entre théâtre et nu artistique imaginée par David Gauchard.
La Terrasse – Avignon en Scène 2021 / juin 2021 / Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
A la façon d’une enquête sociologique, Nu donne à entendre les témoignages de modèles posant nu. Un spectacle du metteur en scène David Gauchard.
Quel a été le processus d’écriture de Nu ?
David Gauchard : Nous avons mené des entretiens à la manière d’une enquête sociologique. Le plus simplement du monde, en allant directement à la source : dans des ateliers amateurs, des écoles de design, aux beaux-arts. Certains modèles ont entendu parler du projet et sont venus directement à nous. Nous avons pris le soin de choisir une mosaïque de gens d’âges et d’expériences divers.
Quels rôles jouent, sur le plateau, Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours ?
D. G.: Chaque entretien a été enregistré, coupé et monté. Sur scène, Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours redonnent vie aux propos récoltés, qui éclairent un métier méconnu, source de fantasmes et d’idées préconçues. Par un système simple de casques audio, les acteurs rejouent en direct des extraits de ces interviews, sans les avoir appris au préalable. Ils esquissent, en temps réel, le corps et la voix des modèles, rendent la beauté des contours, la complexité et la fragilité de ces êtres. Ceci, en investissant de manière extrêmement subtile l’art de l’acteur, l’art de l’intime, c’est-à-dire l’art de dire l’humain.
Quels sont, pour vous, les principaux enjeux de cette création ?
D. G.: Ce spectacle cherche à explorer et à incarner le nu artistique dans ses dimensions sociales et politiques. Les modèles interviewés ont très souvent évoqué la précarité qu’induisent leurs contrats de travail, la non-reconnaissance de leur métier, la faiblesse de leur salaire… Car on ne peut pas parler du nu artistique sans évoquer la vulnérabilité des personnes qui exercent ce métier. Le fait de pratiquer une activité dénudée ramène aux combats actuels liés à la représentation des corps féminins, masculins, des corps âgés… Nous avons voulu interroger ces questions avec elles : sans tricher, tranquillement, avec beaucoup d’humour.
L’Humanité / 8 février 2021 / Gérald Rossi
Nu, La tête et les jambes des modèles
L’Oeil d’Olivier / 17 janvier 2021 / Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Nu, dans les coulisses des « modèles vivants »
représentations
CRÉATION
10 et 11 juin 2021 Théâtre de Saint Quentin en Yvelines, scène nationale
DIFFUSION
Saison 24-25
24 janvier 2025 Théâtre Le Passage, Fécamp
Saison 23-24
31 mai 2023 Le Pont des arts, Cesson Sévigné
Saison 22-23
5 au 27 décembre 2022 Théâtre de Belleville, Paris
(les samedi, dimanche, lundi et mardi – relâches les 24-25)
11 février 2023 Scène 55, Mougins – scène conventionnée
21 mars 2023 Les Scènes du Jura, scène nationale
28 et 29 mars 2023 Musée d’art et d’histoire de Saint Lô en partenariat avec le Théâtre de Saint Lô
31 mars 2023 DSN, Dieppe Scène Nationale
Saison 21-22
11 au 13 novembre 2021 Festival TNB / Théâtre L’Aire Libre, Saint Jacques de le Lande
23 au 25 novembre 2021 Malraux, scène nationale Chambéry Savoie
Suivi d’une tournée dans le cadre de Savoie nomade
8 janvier 2022 Musée du Louvre-Lens en partenariat avec Culture commune, scène nationale du Bassin minier du Pas de Calais
15 au 19 mars 2022 Théâtre des Deux Rives, CDN de Normandie, Rouen
26 au 28 avril 2022 Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper
21 mai 2022 Nuit des musées / Musée Bernard d’Agesci de Niort
23 et 24 mai 2022 Le Moulin du Roc, scène nationale de Niort
Saison 20-21
16 au 25 juillet 2021 (relâche le 19) La Manufacture, Avignon OFF
1- Rencontre de l’équipe. Cibler le sujet. Mettre en place un protocole d’interview avec l’aide d’un sociologue. Etablir une liste d’ouvrages sur le sujet (littérature, peinture, photo, cinéma, documentaire, histoire de l’Art…)
> Août 2019 (3 jours) – Studio L’Aire Libre, St Jacques de la Lande
2- Collectage, dramaturgie, écriture. Réaliser des interviews, retranscrire. Assister à une ou plusieurs séances de dessins. Chercher d’autres sources possibles à l’écriture parmi les ouvrages repérés.
> Décembre 2019 (1 semaine) – L’OARA – La MECA, Bordeaux
> Janvier 2020 (1 semaine) – Le Canal, Redon
> Février 2020 (1 semaine)- – Théâtre de Cornouaille, Quimper
3- Réalisation de la scénographie. Réfléchir à un dispositif, souple et dynamique. Etre en capacité de jouer dans des lieux tout terrain avec un temps très court pour le démontage et le montage. Concevoir un décor pour une salle de 400 places mais aussi adaptable dans des lieux dits «non théâtraux» type : studio de danse, Frac, écoles d’arts…
> Printemps/Ete 2019 – conception du décor
> Automne 2019 – construction du décor – l’Opéra de Limoges
4- Montage audio, dérushage, création d’une base de données. Construire un texte à jouer. Mise en place du protocole du jeu à l’oreillette.
> Mai 2020 (1 semaine) – Télétravail, Saint Brieuc, Paris, Rennes
> Mai 2020 (1 semaine) – Bureau de la compagnie, Rennes
5- Répétitions du spectacle. Mise en scène. Création lumières : imaginer une création lumière théâtre et une création lumière tout terrain. Travail scénographie, habillage son et vidéo.
> Juin 2020 (1 semaine) – Théâtre de St Quentin en Yvelines
> Juin 2020 (1 semaine) – Studio L’Aire Libre, St Jacques de la Lande
> Septembre 2020 (1 semaine) – La Passerelle, Saint Brieuc
> Décembre 2020 (1 semaine) – Le Canal, Redon
Extrait de témoignage
« Je fais ça depuis presque 10 ans. Au début, c’était parce que j’étais en école d’art dramatique et que je n’avais, de toute manière, pas de problème avec le fait de montrer mon corps. Ça payait correctement et en complément de quelques autres petits boulots, ça me laissait quand même pas mal de temps à moi. J’ai eu parfois des problèmes avec mes copains qui ne comprenaient pas que je me foute à poil devant d’autres personnes. Mais bon dans l’ensemble c’est quelque chose qui a été plutôt bénéfique pour moi. Je fais ça depuis un moment maintenant et avec le recul je vois bien que de me voir belle dans les dessins depuis si longtemps m’a aidé à avoir plus confiance en moi, en mon corps et en ma féminité.
J’aime beaucoup observer les différents regards qu’ont les artistes sur moi, cela varie beaucoup d’une personne à l’autre, et je ne parle pas que de l’angle qu’ils ont de mon corps, plutôt ce que leur style de dessin traduit de leur rapport à mon corps. Ça me fait du bien de savoir que personne n’a la même perception des choses. J’aime le fait que mon boulot permette de montrer un autre physique que les corps qu’on voit d’ordinaire déshabillés et qui sont fins et musclés.
Poser ce n’est pas simple. Une pose académique dure vraiment longtemps et les positions se doivent d’inclure des tensions pour suggérer le mouvement. C’est donc un vrai effort et au bout d’une journée de boulot, je suis complètement vidée. Je n’ai jamais vraiment eu de mauvaises expériences, évidement lorsque je débarque dans une classe de prépa à la rentrée, les jeunes sont gênés et donc moi aussi. Le rapport que j’entretiens avec ceux qui me dessinent est toujours un échange. Bon après, il m’est déjà arrivé de me casser la gueule pendant une pose un peu périlleuse, c’est toujours embarrassant de se retrouver les quatre fers en l’air quand on est nue mais ce sont les risques du métier. »
EXTRAITS « Les yeux nus » de Claire de Colombel – Les Impressions Nouvelles
Vendredi 6 décembre
Debout, de dos, la paume de la main droite appuyée au mur, à la hauteur de la poitirine. J’immobilise le bras et je sais où va se créer la zone de tension principale. Pour le reste, ça devrait aller. Le poids du buste est réparti également sur les deux jambes, les douleurs lombaires ne devraient pas se réveiller avant trente ou quarante minutes.
Rester concentrée sur la verticalité pour retarder le moment où le corps se tasse.
Dans la salle, l’estrade sur laquelle je pose est une grosse malle de la hauteur d’une table haute. Y sont rangés les chauffages, le petit tapis de gym et le drap blanc. Elle est collée au mur et les élèves se placent autour, en arc de cercle, debout derrière des chevalets, assises au sol ou sur une chaise, derrière un tréteau qui maintient le carton à dessin dans la bonne inclinaison. Quand j’arrive, l’estrade est déjà mise en place mais les étudiantes s’installent encore. Je grimpe sur ma base mais n’enlève pas mon foulard tout de suite. Je reste en tailleur, le dos droit, accueille les sensations de l’immobilité et parcours la salle du regard. Temps préliminaire où les rôles sont inversés, jusqu’à ce que le brouhaha se dissipe, que François m’annonce la durée des premières poses et qu’il me donne le départ.
Lundi 6 janvier
Le ventre est noué. Deux semaines que je n’ai pas travaillé. Appréhension d’exposer de nouveau à des dizaines de regards ce corps fatigué qui aurait bien dormi trois heures de plus. Corps qui depuis quelques jours teste ses limites. Corps qui a bu trois soirs de suite. Corps pas très ancré qui revient douloureusement à ma conscience quand le réveil sonne. Corps qui s’est ouvert à un autre et encore empreint de lui. C’est tout cela que je m’apprête à exposer, même si les yeux qui vont s’y attarder ne le voient pas.
EXTRAITS « Modèle vivant » de Joann Sfar – Albin Michel
J’ai écrit toutes ces pages partagé entre la crainte qu’un livre sur le dessin n’intéresse personne et la certitude que c’est un travail sur des questions universelles. A chaque ligne, la question de la violence, du nu et de la délicatesse est posée. Je n’écrirai jamais de manuel de dessin, ça n’aurait aucun sens. Mais j’ai besoin de parler pour le dessin, parce que personne n’y comprend rien, moi le premier.
C’est une école de semi-psychiatrie. Il y a trois semaines une dame a voulu nous forcer à la regarder à poil. ça fait marrer mais ce n’est pas drôle. Elle va dans les ateliers lorsque le prof n’est pas là et elle dit aux élèves qu’elle est un modèle nu embauché par l’école et qu’elle va poser. Les élèves présents se sentent coupables car ils croient qu’ils ont oublié de noter qu’il y avait un cours de nu. Sauf que cette dame n’est pas inscrite dans l’école. Une nouvelle élève m’a écrit paniqué à ce sujet : « La fausse modèle est là, je fais quoi ? – Tu lui dis de partir. –Mais, Joann, elle ne part pas ! – Tu lui dis que je lui demande de partir ! – Elle s’en fout. Elle va se foutre à poil. » J’écris à la direction. La directrice des enseignements vient d’arriver dans l’école. Elle est obligée de venir dans l’atelier accompagnée d’une autre dirigeante et de signifier à l’instruse de se rhabiller.
Bienvenue aux Beaux-Arts.
Lorsque j’étais étudiant aux Beaux-Arts nous avions un modèle de nationalité hollandaise. Grand, maigre, beau, l’air britannique, c’est bien simple c’était le sosie du Monty Python John Cleese. Il posait systématiquement avec un chapeau vert à plume façon chasseur alpin ou Robin Hood sur la tête. Sa grosse bite, son corps maigre interminable, sa cinquantaine assumée et la plume au chapeau. Et avec les oreilles il faisait quoi ?
Des poses de cordes. Rien de plus dur. S’entortiller dans de lourds cordages qui tombent du plafond, se suspendre, et tenir la pose. J’adorais ce type. Il était drôle et avait un accent métallique genre Robocop chic.
Il dessinait des bandes dessinées pornographiques qu’il parvenait à vendre à des éditeurs genre Elvifrance. Le genre de BD dans lesquelles cinquante dessinateurs ont copié la même photo porno et tout le monde s’en fout. Mais cela ne suffisait pas pour vivre. Ni ça ni les séances de pose aux Beaux-Arts. Heureusement c’était un homme entretenu.
Des artistes américaines ont fait des affichages sauvages il y a quelques années pour dénoncer la surabondance de nus féminins dans les musées et l’absence de nus masculins. En quelque sorte c’est l’homme, ce salaud, qui tient le pinceau pendant qu’on réduit la femme au rôle de modèle ou de muse. Et elle en a marre, la femme, qu’on la mate. Je suis d’accord avec tout ça. Tout aussi d’accord que si une Athénienne venait dire que ça suffit de toujours faire des statues de mecs et qu’il faudrait aussi construire de beaux monuments en l’honneur des femmes, qu’on ne cantonnerait pas au rôle désincarné de déesses ou de nymphes, mais qu’on traiterait enfin comme des êtres qui peuvent porter elles-mêmes le discours sur leur corps, sur leur beauté.
« Il y a le corps habillé entre les séances, et le corps nu qui s’arrête de bouger.
Quand je monte sur l’estrade, je ne déshabille pas le premier.
C’est plutôt comme enlever un costume de scène. » Claire de Colombel